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méprisa sa maîtresse. Saraï dit à Abram : Tu agis iniquement contre moi ; j’ai mis ma servante dans ton sein, et voyant qu’elle a conçu, elle me méprise. Que Dieu juge entre moi et toi. À quoi Abram répondit : La servante est en tes mains ; fais-en ce que tu voudras. Saraï la battit, et Agar s’enfuit. L’ange du Seigneur l’ayant trouvée dans le désert près de la fontaine d’eau qui est dans la solitude, dans le chemin de Sur au désert, lui dit : Agar, servante de Saraï, d’où viens-tu, où vas-tu ? Laquelle répondit : Je m’enfuis de la face de Saraï ma maîtresse. L’ange du Seigneur lui dit ? Retourne à ta maîtresse, humilie-toi sous sa main. Je multiplierai ta race en la multipliant, et on ne pourra la compter à cause de sa multitude. Tu as conçu et tu enfanteras un fils, tu l’appelleras Ismaël, parce que Dieu a écouté ton affliction ; il sera comme un âne sauvage ; ses mains seront contre tous, et les mains de tous contre lui[1]. Or Agar appela le Dieu qui lui parlait, Dieu qui m’a vue ; car certainement, dit-elle, j’ai vu le derrière de celui qui m’a vue[2].

Abram ayant commencé sa quatre-vingt-dix-neuvième année, Dieu lui apparut, et lui dit : Je suis le dieu Sadaï[3] ; marche devant moi, et sois sans taches ; je ferai un pacte avec toi, et je te multiplierai prodigieusement. Tu ne t’appelleras plus Abram, mais Abraham[4]… Voici mon pacte, qui sera observé entre moi et tes


    l’enfant d’un autre sur ses genoux ; et cela suffisait pour le légitimer. La polygamie d’ailleurs était en usage dans la sainte Écriture. Lamech avait deux femmes. Mais on dispute pour savoir si Agar était une seconde femme, ou simplement une concubine. L’opinion la plus commune est qu’Agar ne fut que concubine, car si elle avait été la seconde femme d’Abraham, son enfant n’aurait pu appartenir à Sara ; il serait demeuré à la véritable mère. De plus, Abraham n’aurait pas chassé Agar son épouse, et son fils aîné Ismaël, en leur donnant pour tout viatique un pain et un pot d’eau. Il est cruel sans doute de renvoyer ainsi sa servante et l’enfant qu’on lui a fait, mais il eût été plus abominable de chasser ainsi sa femme, dont l’Écriture ne dit point qu’il eût à se plaindre. (Note de Voltaire.)

  1. On a remarqué que cet ange du Seigneur, qui ramène Agar à Abraham étant grosse d’Ismaël, ne la ramène plus quand elle est chassée avec son fils. (Id.)
  2. C’était une opinion fort ancienne qu’on ne pouvait voir le visage d’un dieu sans mourir. Vous verrez même dans l’Exode que Dieu ne se laissa voir que par derrière à Moïse par la fente d’un rocher, quoiqu’il soit dit que Moïse voyait Dieu face à face. (Id.)
  3. Sadaï était le nom que quelques peuples de Syrie donnaient à Dieu. Ils l’appelaient tantôt Sadaï, tantôt Adonaï, tantôt Jehovah, ou El, ou Éloa, ou Melch, ou Bel, selon les différents dialectes. On prétend que Sadaï signifiait l’exterminateur : d’autres disent que c’était le dieu des champs, et d’autres le dieu des mamelles. Il faut consulter Calmet, car il sait tout cela. (Id.)
  4. On connaît peu la différence d’Abram à Abraham. On a prétendu qu’Abram signifiait père illustre, et Abraham père de plusieurs. Les Persans crurent toujours