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le premier qui sortira des portes de ma maison, et qui viendra au-devant de moi... Jephté passa ensuite dans les terres des enfans d’Ammon, que Dieu livra entre ses mains, et il ravagea vingt villes... mais lorsque Jephté revint dans sa maison à Maspha, sa fille unique courut au-devant de lui en dansant au son du tambour. Et Jephté l’ayant vue déchira ses vêtements, et lui dit : hélas ! Ma fille, tu m’as trompé, et tu t’es trompée toi-même ; car j’ai fait un vœu au seigneur, et il faut que j’accomplisse mon vœu[1]. à quoi elle répondit : mon pere, si tu as fait un vœu fais moi selon ton vœu, puisque cela t’a fait remporter la victoire sur tes ennemis ; je ne te demande qu’une grace, laisse-moi descendre sur les montagnes, afin que je pleure ma virginité pendant deux mois avec mes compagnes... Jephté lui répondit, va ; et elle alla pleurer sa virginité sur les montagnes. Et après deux mois elle revint chez son pere, et son pere lui fit comme il avait voué, étant encore vierge. Et de là vient que la coutume est encore parmi les filles d’Israël, de s’assembler tous les ans, et de pleurer pendant quatre jours la fille de Jephté[2].

  1. ce mot seul, je te sacrifierai en holocauste, décide la question, si longtemps agitée entre les commentateurs, si Jephté promit un vrai sacrifice, ou simplement une oblation qu’on pouvait évaluer à prix d’argent. S’il ne s’était agi que de quelques sicles, de quelques dragmes, ce capitaine n’aurait pas déchiré ses vêtements en voyant sa fille ; il n’aurait pas dit en gémissant : j’ai fait un vœu, il faut que je l’accomplisse. Il est statué expressément au chapitre 27 du lévitique, que tout ce qui sera voué au seigneur, soit homme, soit animal, ne sera point racheté, mais mourra de mort . Nous sommes donc obligés malgré nous de convenir, que selon le texte indisputable des livres sacrés, Dieu, maître absolu de la vie et de la mort, permit les sacrifices de sang humain. Il les ordonna même. Il commanda à Abraham de sacrifier son fils unique ; et il reçut le sang de la fille unique de Jephté. S’il arrêta le bras d’Abraham, c’est que son fils devait produire la race des juifs ; et s’il n’arrêta pas le bras de Jephté, c’est probablement parce que le peuple juif était déjà nombreux. Nous ne proposons cette solution qu’avec défiance, sachant bien que ce n’est pas à nous de deviner les desseins et les raisons de Dieu.
  2. la fille de Jephté demande de pleurer sa virginité avant de mourir. C’était le plus grand malheur pour les filles de cette nation, de mourir vierges ; delà vient qu’il n’y eut jamais de religieuses chez les juifs. Le mot descendre sur les montagnes n’est qu’une faute de copiste, une inadvertence. Les mots, il lui fit comme il avait voué, marquent trop clairement que le pere immola sa fille. Il avait voué un holocauste. Calmet traduit très infidelement le texte par ces mots, elle demeura vierge ; il y a, étant encore vierge, ignorant l’homme . Cette faute est d’autant plus impardonnable à Calmet, que dans sa note il dit tout le contraire. La voici, il l’immola au seigneur, elle était encore vierge . Et dans sa dissertation sur le vœu de Jephté, il avoue que cette fille fut immolée. Une raison non moins forte que Calmet devait alléguer, c’est que les filles