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Josué, fils de Nun, envoya donc secrètement de Setim deux espions… Ils partirent, et entrèrent dans la ville de Jéricho, dans la maison d’une prostituée nommée Rahab, et y passèrent la nuit. Le roi de Jéricho en fut averti ; il envoya chez Rahab la prostituée, disant : Amène-nous les espions qui sont dans ta maison ; mais cette femme les cacha, et dit : Ils sont sortis pendant qu’on fermait les portes, et je ne sais où ils sont allés… [1].

    du Canaan. Il est certain qu’ils devaient haïr tous les peuples idolâtres du Nil et de l’Euphrate. Si on demande pourquoi Josué fils de Nun ne ravagea pas, et ne conquit pas toute l’égypte, toute la Syrie et le reste du monde pour y faire régner la vraie religion, et pourquoi il ne porta le fer et la flamme que dans cinq ou six lieues de pays tout au plus, et encore dans un très mauvais pays en comparaison des campagnes immenses arrosées du Nil et de l’Euphrate ? Ce n’est pas à nous à sonder les décrets de Dieu. Il nous suffit de savoir que depuis Mosé et Josué les juifs n’approcherent jamais du Nil et de l’Euphrate que pour y être vendus comme esclaves ; tant les jugements de Dieu sont impénétrables. Dieu ne cesse jamais de parler à Mosé et à Josué ; Dieu conduit tout ; Dieu fait tout ; il dit plusieurs fois à Josué : sois robuste, ne crains rien, car ton dieu est avec toi. Josué ne fait rien que par l’ordre exprès de Dieu. C’est ce que nous allons voir dans la suite de cette histoire.

  1. Les critiques demandent pourquoi. Dieu ayant juré à Josué, fils de Nun, qu’il serait toujours avec lui, Josué prend cependant la précaution d’envoyer des espions chez une meretrix. Quel besoin avait-il de cette misérable, quand Dieu lui avait promis son secours de sa propre bouche ; quand il était sûr que Dieu combattait pour lui, et qu’il était à la tête d’une armée de six cent mille hommes, dont il détacha, selon le texte, quarante mille pour aller prendre le village de Jéricho, qui ne fut jamais fortifié, les peuples de ce pays-là ne connaissant pas encore les places de guerre, et Jéricho étant dans une vallée où il est impossible de faire une place tenable ? M. Fréret traite Calmet d’imbécile, et se moque de lui de ce qu’il perd son temps à examiner si le mot zonah signifie toujours une femme débauchée, une prostituée, une gueuse, et si Rahab ne pourrait pas être regardée seulement comme une cabaretière. Dom Calmet examine aussi avec beaucoup d’attention si cette cabaretière ne fut pas coupable d’un petit mensonge en disant que les espions juifs étaient partis, loi’squ’ils étaient chez ellej il prétend qu’elle fit une très-bonne action. « Étant informée, dit-il, du dessein de Dieu, qui voulait détruire les Chananéens et livrer leur pays aux Hébreux, elle n’y pouvait résister sans tomber dans le même crime de rébellion à l’égard de Dieu qu’elle aurait voulu éviter envers sa patrie ; de plus, elle était persuadée des justes prétentions de Dieu, et de l’injustice des Chananéens : ainsi elle ne pouvait prendre un parti ni plus équitable, ni plus conforme aux lois de la sagesse. » M. Fréret répond que si cela est, Ilahab était donc inspirée de Dieu même, aussi bien que Josué ; et que le crime abominable de trahir sa patrie pour des espions d’un peuple barbare dont elle ne pouvait entendre la langue ne peut être excusé que par un ordre exprès de Dieu, maître de la vie et de la mort. Rahab, dit-il, était une infâme qui méritait le dernier supplice. Nous savons que le Nouveau Testament compte cette Rahab au nombre des aïeules de Jésus-Christ ; mais il descend aussi de Bethsabée et de Thamar, qui n’étaient pas moins criminelles. Il