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va,pars de ce lieu, et entre dans le pays que j’ai juré de donner à Abraham, à Isaac, et à Jacob ; et j’enverrai un ange pour chasser les cananéens, les amorrhéens, les héthiens, les hévéens, les phéréséens, et les jébuséens... or le seigneur parlait à Mosé face à face, comme un homme parle à son ami... puis le seigneur lui dit : je marcherai devant toi, et je te procurerai du repos... Mosé repartit : fais-moi voir ta gloire. Dieu répondit : je te montrerai tous les biens ; et en passant devant toi, je te ferai voir ma gloire ; je crierai moi-même en prononçant mon nom ; je ferai miséricorde à qui je voudrai. Et il dit de plus : tu ne pourras voir ma face, car nul homme ne me verra sans mourir ; mais il y a une façon de me voir ; tu te mettras sur le rocher, et quand ma gloire passera, je te mettrai dans une fente du

    d’Aaron ; et non seulement Aaron est épargné, mais il est fait ensuite grand-prêtre : ce n’est point là l’idée que nous avons de la justice ordinaire. Ce sont des profondeurs que nous devons adorer. Plusieurs théologiens ont observé, que les deux premiers pontifes de l’ancienne loi et de la nouvelle ont tous deux commencé, par une apostasie. Leur repentir leur a tenu lieu d’innocence ; mais il n’est point dit expressément qu’Aaron eût demandé pardon à Dieu de son crime ; au lieu qu’il est dit que st Pierre expia le sien par ses larmes, quoiqu’il fût infiniment moins coupable qu’Aaron. Quelques-uns ont remarqué, non sans malignité, que Dieu dit d’abord qu’il enverra un ange pour chasser les cananéens, et qu’ensuite il dit qu’il ira lui-même ; mais il n’y a point là de contradiction ; au contraire, c’est peut-être un redoublement de bienfaits pour consoler le peuple de la perte des vingt-trois mille hommes qu’on vient d’égorger. Il n’est pas si aisé d’expliquer ce que l’auteur entend quand Mosé demande à Dieu de lui faire voir sa gloire. Il semble qu’il l’a vue assez pleinement, et d’assés près, quand il a conversé avec Dieu pendant quarante jours sur la montagne, qu’il a vu Dieu face à face, et que Dieu lui a parlé comme un ami à un ami. Dieu lui répond : vous ne pouvez voir ma face ; car nul homme ne me verra sans mourir . C’était en effet l’opinion de toute l’antiquité, comme nous l’avons vu*, qu’on mourait quand on avait vu les dieux. S’il est permis de joindre ici le profane au sacré, on peut remarquer que Sémélé mourut pour avoir voulu voir Zeus, que nous nommons Jupiter, dans toute sa gloire. Il faut supposer que quand Mosé parla à Dieu face à face, comme un ami à un ami, il y avait entr’eux une nuée pareille à celle qui conduisait les hébreux dans le désert ; autrement ce serait une contradiction inexplicable ; car ici Dieu ne lui permet point de voir sa face sans voile, il lui permet seulement de voir son derriere. Ces choses sont si éloignées des opinions, des usages, des mœurs qui regnent aujourd’hui sur la terre, qu’il faut, en lisant cet ouvrage divin, se regarder comme dans un autre monde. Nous sommes bien loin d’oser comparer les poëmes d’Homere à l’écriture sainte, quoi qu’Eustathe l’ait fait avec succès ; mais nous osons dire que dans Homere il n’y a pas deux actions qui aient la moindre ressemblance avec ce que nous voyons de nos jours ; et c’est cela même, qui rend les poëmes d’Homere très precieux. L’ancien testament l’est plus encore. *Tome XXVI, page 262; et ci-dessus, page 24.