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En abusant ici des bontés de Cléon,
D’oser aimer sa femme ?

NICODON

Aimer madame ! oh non ;
Je n’ai pu, je l’avoue, assez me méconnaître
Pour en être amoureux ; seulement j’ai cru l’être.

LAURE.

Innocent ! qui vous a de la sorte entêté ?
D’où vous vient cette erreur ?

NICODON

D’où ? de la vanité.

LAURE.

Vraiment, c’est bien c^ vous d’être vain !

NICODON

Non, non, Laure,
Je me garderai bien d’y retomber encore.
Ah ! si vous m’aviez vu, je me sentais si sot !
Je cherchais à parler sans pouvoir dire un mot ;
J’ouvrais la bouche à peine, et dans ma lourde extase
Je bégayais tout bas, en cherchant une phrase.
Quand sur moi de madame un regard s’échappait,
C’était comme un éclair qui soudain me frappait ;
J’étais plus mort que vif, j’étais cent pieds sous terre ;
On raillait ma figure, on me faisait la guerre ;
Un page et des valets, voyant mon embarras,
Pour rire à mes dépens ne se contraignaient pas ;
Enfin, j’aurais voulu que cent coups d’étrivière
M’eussent chassé de là, pour me tirer d’affaire…
Ce n’est pas tout encore.

LAURE.

Oh ! qu’avez-vous donc fait ?

NICODON

Ces lettres d’Ariston font un méchant effet.
Je crois que là-dessus il est quelque mystère.
Madame en a pleuré, monsieur est en colère ;
Il gronde entre ses dents, dit qu’il se vengera,
Que bientôt…

LAURE.

Et c’est vous qui causez tout cela ?

NICODON

Oui, très-innocemment. Mon oncle me console.
Dit que c’est pour un bien : il m’a donné parole