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Empêchons, croyez-moi, que ce peuple orgueilleux,
Au fer qui l’a dompté n’accoutume ses yeux ;
Que méprisant nos lois et prompt à les enfreindre,
Il ose contempler, des maîtres qu’il doit craindre.
Il faut toujours qu’il tremble, et n’apprenne à nous voir
Qu’armés de la vengeance ainsi que du pouvoir.
L’américain farouche est un monstre sauvage
Qui mord en frémissant le frein de l’esclavage :
Soumis au châtiment, fier dans l’impunité,
De la main qui le flatte il se croit redouté.
Tout pouvoir, en un mot, périt par l’indulgence,
Et la sévérité produit l’obéissance.
Je sais qu’aux castillans, il suffit de l’honneur,
Qu’à servir sans murmure ils mettent leur grandeur :
Mais le reste du monde esclave de la crainte
A besoin qu’on l’opprime et sert avec contrainte ;
Les dieux même adorés dans ces climats affreux
S’ils ne sont teints de sang, n’obtiennent point de vœux.

Alvarès.

Ah mon fils, que je hais ces rigueurs tyranniques !
Les pouvez-vous aimer ces forfaits politiques ;
Vous chrétien, vous choisi pour régner désormais
Sur des chrétiens nouveaux au nom d’un dieu de paix ?
Vos yeux ne sont-ils pas assouvis des ravages
Qui de ce continent dépeuplent les rivages ?
Des bords de l’orient, n’étais-je donc venu
Dans un monde idolâtre, à l’Europe inconnu,
Que pour voir abhorrer sous ce brûlant tropique
Et le nom de l’Europe et le nom catholique !
Ah ! Dieu nous envoyait, par un contraire choix,
Pour annoncer son nom, pour faire aimer ses lois :
Et nous de ces climats, destructeurs implacables,
Nous et d’or et de sang toujours insatiables,
Déserteurs de ces lois qu’il fallait enseigner,
Nous égorgeons ce peuple au-lieu de le gagner ;
Par nous tout est en sang, par nous tout est en poudre,
Et nous n’avons du ciel imité que la foudre.