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322 LA MORT DE CÉSAR.

Je pars, et vais venger sur le Partlie inhumain

La honte de Crassus et du peuple romain.

L’aigle des légions, que je retiens encore,

Demande à s’envoler vers les mers du Bosphore ;

Et mes l)ra\es soldats n’attendent ])oiir signal

Que de revoir mon front ceint du bandeau royal.

Peut-être avec raison César peut entreprendre

D’atta([uer un pays qu’a soumis Alexandre ;

Peut-être les Gaulois, Pompée, et les Romains,

Valent hien les Persans subjugués par ses mains :

J’ose au moins le penser ; et ton ami se flatte

Que le vainqueur du Rhin peut l’être de l’Euphrate.

Mais cet espoir m’anime et ne m’aveugle pas ;

Le sort peut se lasser de marcher sur mes pas ;

La plus haute sagesse en est souvent trompée :

11 peut quitter César, ayant trahi Pouipée ;

Et, dans les factions comme dans les combats,

Du triomphe à la chute il n’est souvent qu’un pas’.

J’ai servi, commandé, vaincu, quarante années ;

Du monde entre mes mains j’ai vu les destinées ;

Et j’ai toujours connu qu’en chaque événement

Le destin des États dépendait d’un moment.

Quoi qu’il puisse arriver, mon cœur n’a rien à craindre,

Je vaincrai sans orgueil, ou mourrai sans me plaindre.

Mais j’exige en partant, de ta tendre amitié,

Qu’Antoine à mes enfants soit pour jamais lié ;

Que Rome par mes mains défendue et conquise,

Que la terre à mes fils, comme à toi, soit soumise ;

Et qu’emportant d’ici le grand titre de roi.

Mon sang et mon ami le prennent après moi.

Je te laisse aujourd’hui ma volonté dernière ;

Antoine, à mes enfants il faut servir de père.

Je ne veux point de toi demander des serments,

De la foi des humains sacrés et vains garants ;

Ta promesse suffit, et je la crois plus pure

Que les autels des dieux entourés du parjure.

ANTOINE.

C’est déjà pour Antoine une assez dure loi

Que tu cherches la guerre et le trépas sans moi.

\. Co vers rappelle le mot de Mirabeau : « Il n’y a qu’un pas du Capitale à la roche Tarpéicnue. » (G. A.)