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LE COMTE.

Que cela soit court, au moins : un jour de mariage on a la tête remplie de tant de choses qu’on n’a guère le temps d’écouter.

LE CHEVALIER.

Mon frère, j’ai d’abord à vous dire…

LE COMTE.

Réellement, Chonchon, croyez-vous que cet habit me siée bien ?

LE CHEVALIER.

J’ai donc à vous dire, mon frère, que je n’ai presque rien eu en partage, que je suis prêt à vous abandonner tout ce qui peut me revenir de mon bien, si vous avez la générosité de me donner dix mille francs une fois payés. Vous y gagneriez encore, et vous me tireriez d’un bien cruel embarras ; je vous aurais la plus sensible obligation.

LE COMTE, appelant ses gens.

Holà ! hé ! ma chaise est-elle prête ! Chonchon, vous voyez bien que je n’ai pas le temps de parler d’affaires. Julie aura dîné ; il faut que j’arrive.

LE CHEVALIER.

Quoi ! vous n’opposez à des prières dont je rougis que cette indifférence insultante dont vous m’accablez ?

LE COMTE.

Mais, Chonchon, mais, en vérité, vous n’y pensez pas. Vous ne savez pas combien un seigneur a de peine à vivre à Paris, combien coûte un berlingot ; cela est incroyable : foi de seigneur, on ne peut pas voir le bout de l’année.

LE CHEVALIER.

Vous m’abandonnez donc ?

LE COMTE.

Vous avez voulu vivre comme moi ; cela ne vous allait pas, il est bon que vous pâtissiez un peu.

LE CHEVALIER.

Vous me mettez au désespoir ; et vous vous repentirez d’avoir si peu écouté la nature.

LE COMTE.

Mais la nature, la nature, c’est un beau mot inventé par les pauvres cadets ruinés pour émouvoir la pitié des aînés qui sont sages. La nature vous avait donné une honnête légitime ; et elle ne m’ordonne pas d’être un sot, parce que vous avez été un dissipateur.

LE CHEVALIER.

Vous me poussez à bout. Eh bien ! puisque la nature se tait dans vous, elle se taira dans moi, et j’aurai du moins le plaisir de