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d’ouvrage de fonte ; et ils dirent : Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont tiré de la terre d’Égypte. Ce qu’Aaron ayant vu, il dressa un autel devant le veau, et il cria par la voix d’un crieur : C’est demain la fête du Seigneur veau. » (Exode, xxxii.)

Il me semble, monsieur, qu’il n’y a que vingt-quatre heures entre la demande du veau d’or et sa fête. Les quarante jours pendant lesquels Moïse et Josué restèrent avec Dieu sur la montagne sont passés ; la loi est entre ses mains ; et, pendant qu’il est prêt à descendre, le peuple demande à adorer des dieux qui marchent. Aaron imagine un veau d’or ; on le jette en fonte ; on l’adore : on n’a pas perdu de temps.

Il est très-vrai que M. Pigalle demande six mois pour fondre un veau d’or[1], et même sans le réparer au ciseau et à la lime, encore moins au burin, car un tel ouvrage ne se fait pas avec le burin. Tout cela est très-long et prodigieusement difficile : pardonnez donc à mon ami d’avoir regardé cette aventure comme un prodige que Dieu permettait, car apparemment vous conviendrez que rien n’est ici dans le cours des choses naturelles.

VI. — De la manière de fondre une statue d’or.

Vous croyez, monsieur, que dans les déserts d’Oreb et de Sinaï il y avait des moyens plus expéditifs de fondre une statue de métal que ceux dont se servent nos sculpteurs ? J’ose vous répondre qu’il n’y en a point : il faut absolument un moule tellement préparé, arrêté, affermi, entouré, qu’il ne se casse ni ne se démonte en aucun endroit pendant l’opération ; il faut que l’or se répande autour de lui exactement, sans fêlure, sans inégalité : c’est ce qui est très-long et très-difficile.

Vous dites que vous avez trouvé à Paris, dans la rue Guérin-Boisseau, un sculpteur qui vous a offert de vous faire le veau d’or en huit jours. Si vous avez fait marché dans la rue Guérin-Boisseau[2], vous ne deviez donc pas dater vos lettres d’un village près d’Utrecht[3], où l’on dit que les jansénistes se sont réfugiés.

  1. Voyez l’article Fonte des Questions sur l’Encyclopédie, tome XIX, pages 161-169.
  2. L’abbé Guenée, paragraphe vii du premier extrait du Petit Commentaire qui est à la suite des Lettres de quelques Juifs, parle des artistes de la rue Guérin-Boisseau. (B.)
  3. La ville d’Utrecht, en Hollande, est le siège d’un archevêché janséniste. On a vu plus haut (page 499), que les signataires de la dédicace des Lettres de quelques Juifs prennent le titre de Juifs des environs d’Utrecht.