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des nouveautés en mathématiques ; mais un candidat n’aurait jamais été mandarin s’il avait montré trop de génie, comme parmi nous un bachelier suspect d’hérésie courrait risque de n’être pas évêque. L’habitude et l’indolence se joignaient ensemble pour maintenir l’ignorance en possession. Aujourd’hui les Chinois commencent à oser faire usage de leur esprit, grâce à nos mathématiciens d’Europe.

Peut-être, monsieur, avez-vous trop méprisé cette antique nation ; peut-être l’ai-je trop exaltée : ne pourrions-nous pas nous rapprocher ?

Virtus est médium vitiorum et utrimque reductum.
(Hor., lib. I, op. XVIII, v. 9.)

LETTRE VI.

sur les disputes des révérends pères jésuites à la chine.

La guerre de Troie, monsieur, n’est pas plus connue que les succès des révérends pères jésuites à la Chine, et leurs tribulations. Je vous demande d’abord si parmi toutes les nations du monde, excepté la juive[1], il y en a jamais eu une seule qui eût pu persécuter des gens honnêtes, prêchant avec humilité un Dieu et la vertu, secourant les pauvres sans offenser les riches, bénissant les peuples et les rois ? Je soutiens que, chez les anthropophages, de tels missionnaires seraient accueillis le plus gracieusement du monde.

Si à la modestie, au désintéressement, à cette vertu de la charité que Cicéron appelle charitas humani generis[2], ils joignent une connaissance profonde des beaux-arts et des arts utiles ; s’ils vous apprennent à peser l’air, à marquer ses degrés de froid et de chaud, à mesurer la terre et les cieux, à prédire juste toutes les éclipses pour des milliers de siècles, enfin à rétablir votre

  1. Le Deutéronome des Juifs, chap. xiii, dit : « Si un prophète vous fait des prédictions, et si ces prédictions s’accomplissent, et s’il vous dit : Servons le dieu d’un autre peuple… et si votre frère ou votre fils ou votre chère femme vous en dit autant… tuez-les aussitôt. » Le Clerc soutient que dieux d’un autre peuple, dieux étrangers, dii alieni, ne signifie que dieu d’un autre nom ; que le Dieu créateur du ciel et de la terre était partout le même, et qu’on doit entendre par dii alieni, dieux secondaires, dieux locaux, demi-dieux, anges, puissances aériennes, etc. (Note de Voltaire.)
  2. Cicéron n’a pas employé cette expression ; voyez la note, tome XVIII, page 133.