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cette affaire, on affecte d’envisager M. de Morangiés comme un homme puissant qui accable du poids de sa grandeur une famille obscure. M. de Morangiés est bien loin d’être un homme puissant ; c’est un brave gentilhomme, un bon officier comme tant d’autres, et, dans de telles affaires, c’est le peuple qui est puissant, c’est lui qui s’ameute, c’est lui qui crie, c’est lui qui soulève mille praticiens, c’est lui qui fait retentir mille voix : les gens de qualité se taisent.

M. de Morangiés est très-malheureux sans doute de s’être humilié jusqu’à recevoir des lettres insultantes d’une courtière et de Du Jonquay. Il eût mieux valu cent fois vivre obscurément dans une de ses terres jusqu’au payement de ses dettes : que dis-je ? il eût mieux valu vivre de pain de munition sur la frontière, dans une garnison, que d’avoir quelque chose à disputer avec des prêteuses sur gages, et de chercher en vain dans Paris de malheureuses ressources qui finissent toujours par ruiner un homme de qualité.

Mais M. le comte de Morangiés est encore le plus à plaindre de s’être exposé à essuyer de vous des opprobres que votre sang ne réparerait pas.

Quoi qu’il en soit, monsieur, attendons, vous et moi, respectueusement le résultat des interrogatoires et de toute la procédure. Quelque jugement qu’on porte, il sera juste, parce qu’il sera fondé sur la loi. Un arrêt nous révélera peut-être ce que sont devenus ces cent mille écus, donnés autrefois secrètement à la veuve Véron par un banqueroutier, transportés secrètement à Vitry-le-Brûlé par la veuve, reportés secrètement de Vitry dans la rue Saint-Jacques, et portés à pied secrètement chez M. de Morangiés. Je souscris d’avance à l’arrêt que le parlement prononcera. Si M. de Morangiés est déclaré convaincu et coupable, je le crois alors coupable. Si ses adversaires sont déclarés innocents, je les tiens innocents.

Mais je soutiendrai toujours qu’il serait possible que M. de Morangiés fût condamné justement par les formes à payer les cent mille écus et les dépens, quoiqu’il ne dût rien dans le fond ; au lieu qu’il est impossible que les Véron soient disculpés s’ils sont condamnés. D’où vient cette grande différence entre M. de Morangiés et ses adversaires ? La voici.

C’est que M. de Morangiés a fait malheureusement des billets d’une forme très-légale qui parlent contre lui. Et si le désaveu de Du Jonquay et de sa mère a été fait dans une forme illégale, si des témoins intéressés persistent dans leurs témoignages, toutes