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monde au fait des choses mêmes dont vous parlez, et que vous voulez tourner en ridicule. Vous prenez des pirates pour des corsaires ; vous me faites dire ce que je n’ai jamais dit ; vous raillez indécemment sur l’affaire criminelle la plus sérieuse ; vous transformez le sanctuaire de la justice, tantôt en un canton des halles, tantôt en un théâtre de la Foire. Ce n’est pas ainsi qu’en a usé M. Vermeil, le véritable avocat de la cause dans laquelle vous vous êtes intrus pour la gâter.

Quoi ! monsieur, vous voulez intéresser pour le sieur Du Jonquay ; vous voulez arracher des larmes en faveur d’un homme que vous peignez vertueux et opprimé ; et vous le faites parler comme un farceur qui cherche à faire rire la canaille ! Ah ! monsieur, souvenez-vous qu’il faut avoir le style de son sujet : c’est un devoir qui est bien rarement rempli. Songez qu’Horace n’a point dit : Si vis me flere, ridendum est primum ipsi tibi[1].

On vous pardonnerait de déguiser des faits peu favorables, d’essayer de faire valoir les choses les plus frivoles, de répondre par des paralogismes ridicules aux raisons les plus solides ; de crier que vous avez prouvé ce que vous n’avez point prouvé, et que vous avez détruit ce qui n’est point détruit. Vous pouvez donner au mensonge l’air de la vérité, et à la vérité les couleurs du mensonge, vous épuiser en vaines déclamations sur des faits qui n’ont aucun rapport au fond de l’affaire, et courir rapidement sur les faits les plus graves qui déposent contre vous. Cette méthode n’est pas honorable sans doute ; elle est tolérée pour le malheur des hommes. Mais j’ose dire que nous retombons dans les siècles de la plus épaisse barbarie, s’il est permis désormais de souiller le barreau par des injures et par des farces. La justice tranquille et sévère, assise sur le trône de la vérité, veut que tous ceux qui participent en quelque sorte à son ministère auguste tiennent quelque chose de sa gravité et de sa décence.

Vous avez voulu, dans cette cause, soulever le peuple contre la noblesse, et en faire une affaire de parti ; vous avez voulu peindre un gentilhomme qui se plaint d’avoir été surpris, comme un tyran appuyé du pouvoir despotique pour opprimer de pauvres innocents. Vous vous y êtes bien mal pris. Il se trouve, par votre mémoire, que c’est l’homme de qualité qui est opprimé, et que ce sont les pauvres citoyens qui insultent. Je vois que, dans

  1. Horace a dit (Art poétique, vers 102-3) :

    Si vis me flere, dolendum
    Est primum ipsi tibi.