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gune, traitée par elle en esclave, va être montée par elle sur le trône, etc. »

En lisant ce commencement de Rodogune tel qu’il est mot à mot dans la pièce, je découvre tout ce qui m’était échappé à la représentation. Un jour pompeux, un jour heureux, un grand jour, en quatre vers ; une nuit d’un trouble, une princesse affranchie, sans que je sache encore quelle est cette princesse ; un motif de la guerre qui devient un lien de la paix, sans que je puisse deviner quel est ce motif, quelle est cette guerre, qui la fait, à qui on la fait, quel est le personnage qui parle. Je vois une reine qui cesse de tenir plus la couronne incertaine, et qui va mettre le sceptre dans la main au plus heureux ; mais on ne m’apprend pas seulement le nom de cette reine ; j’apprends seulement que Rodogune va être montée sur le trône par cette reine inconnue.

Toutes ces irrégularités se manifestent à moi bien plus aisément dans la prose que lorsqu’elles m’étaient déguisées par la rime et par la déclamation. Je suis confirmé alors dans le principe de M. de Voltaire, qui établit que, pour bien juger si des vers sont corrects, il faut les réduire en prose. M. Clément dit que ce système est celui d’un fou[1]. Je ne crois point être fou en l’adoptant ; j’espère seulement que M. Clément aura un jour une raison plus sage et plus honnête.

Les bornes de ce petit écrit ne me permettent que d’ajouter ici quelques mots sur les injures atroces que M. Clément dit à M. de Laharpe dans sa dissertation, qui devait être purement grammaticale. Il l’accuse d’avoir fait une partie des Commentaires sur le théâtre de Corneille par un motif d’intérêt, et il hasarde cette calomnie pour l’accabler d’outrages qui ne peuvent que retomber sur celui qui les prodigue si injustement. Je n’ai jamais vu M. de Voltaire, mais je suis assez instruit de ses procédés envers la famille de Pierre Corneille, et du sentiment de tous les honnêtes gens, pour savoir combien ils réprouvent les invectives odieuses de M. Clément, qui sont aussi déplacées que ses critiques. J’ai peu vu M. de Laharpe ; je ne le connais que par les excellents ouvrages qui lui ont mérité tant de prix à l’Académie, et par des pièces de poésie qui respirent le bon goût. Tous ceux qui ont pu lire ce libelle de M. Clément condamnent unanimement cette fureur grossière avec laquelle il amène ici le

  1. Clément. Sixième Lettre, page 128, dit que le système de Voltaire sur les métaphores est la plus insigne extravagance qui ait été enfantée par le délire du bel esprit. Et, page 129, il traite de système presque aussi étrange le sentiment de Voltaire de tourner les vers en prose.