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FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE,

les deux nababs pour lesquels on combattait étaient chacun à cent lieues du champ de bataille. Pondichéry respirait un peu après ce petit succès. Mais l’armée navale du comte d’Aché ayant reparu sur la côte, elle fut encore attaquée par l’amiral Pococke, et plus maltraitée dans cette troisième bataille que dans les premières, car un de ses grands vaisseaux de guerre prit feu, et la mâture fut brûlée ; quatre vaisseaux de la compagnie s’enfuirent. Cependant l’amiral français échappa à l’amiral anglais, qui, malgré la supériorité du nombre et de la marine, ne put prendre aucun de ses vaisseaux.

Le comte d’Aché alors voulut repartir pour les îles de Bourbon et de France. Les officiers de l’armée, le conseil de Pondichéry, protestèrent contre le départ de l’amiral, et le rendirent responsable de la ruine de la compagnie : tous croyaient alors que le départ de la flotte était la perte de Pondichéry ; l’amiral les laissa protester ; il donna le peu d’argent qu’il avait apporté, et débarqua environ huit cents hommes ; aussitôt il alla se radouber à l’île de France, Pondichéry, sans munitions, sans vivres, resta dans la discorde et dans la consternation. Le passé, le présent, et l’avenir, étaient effrayants.

Les troupes qui couvraient Pondichéry se révoltèrent. Ce ne fut point une de ces séditions tumultueuses qui commencent sans raison et qui finissent de même. La nécessité sembla les plonger dans ce parti, le seul qui leur restait pour être payées et pour avoir de quoi subsister. « Donnez-nous, disaient-elles, du pain et notre solde, ou nous allons en demander aux Anglais. » Les soldats en corps écrivirent au général qu’ils attendraient quatre jours, mais qu’au bout de ce temps, toutes leurs ressources étant épuisées, ils passeraient à Madras.

On a prétendu que cette révolte avait été fomentée par un jésuite missionnaire nommé Saint-Estevan, jaloux de son supérieur le P. Lavaur, qui, de son côté, trahissait le général autant que le missionnaire Saint-Estevan les trahissait tous deux. Cette conduite ne s’accorde pas avec ce zèle pur qui éclate dans les Lettres édifiantes, et avec la foule de miracles dont le Seigneur a récompensé ce zèle.

Quoi qu’il en soit, il fallut trouver de l’argent : on n’apaise point les séditions dans l’Inde avec des paroles. Le directeur de la Monnaie, nommé Boyleau, donna le peu qui lui restait de matières d’or et d’argent. Le chevalier de Crillon prêta quatre mille roupies, M. de Gadeville autant. M. de Lally, qui avait heureusement cinquante mille francs chez lui, les donna, et en-