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avait été changé en mulet, comme vous le voyez aujourd’hui. Étant donc tristes, comme vous voyez, parce que nous n’avions point de père pour nous consoler, nous n’avons laissé dans le monde aucun sage, ou mage, ou enchanteur, sans le faire venir ; mais cela ne nous a servi de rien du tout. C’est pourquoi, chaque fois que nos cœurs sont accablés de tristesse, nous nous levons, et nous allons avec notre mère que voilà auprès du tombeau de notre père, et après que nous y avons pleuré nous revenons.

XXI. — Ce qu’ayant entendu la jeune fille : Reprenez courage, dit-elle, et cessez vos pleurs, car le remède de votre douleur est proche, ou plutôt il est avec vous, et au milieu de votre maison. Car j’ai aussi été lépreuse, moi ; mais lorsque je vis cette femme et avec elle ce petit enfant qui se nomme Jésus, j’arrosai mon corps de l’eau dont sa mère l’avait lavé, et je fus guérie. Or je sais qu’il peut aussi remédier à votre mal ; c’est pourquoi levez-vous, allez voir madame Marie, et, l’ayant conduite dans votre cabinet, découvrez-lui votre secret, la priant humblement qu’elle ait pitié de vous. Après que les femmes eurent entendu le discours de la jeune fille, elles allèrent vite vers la divine dame Marie, et, l’ayant introduite chez elles, et s’étant assises devant elle en pleurant, elles lui dirent : Ô notre dame ! divine Marie ! ayez pitié de vos servantes, car il ne nous reste plus ni vieillard ni chef de famille, ni père ni frère, qui entre et sorte en notre présence ; mais ce mulet, que vous voyez, a été notre frère que des femmes, par enchantement, ont rendu tel que vous voyez ; c’est pourquoi nous vous prions que vous ayez pitié de nous. Alors la divine Marie, touchée de leur sort, ayant pris le Seigneur Jésus, le mit sur le dos du mulet, et dit à son fils : Hé ! Jésus-Christ, guérissez ce mulet par votre rare puissance, et rendez-lui la forme humaine et raisonnable, telle qu’il l’a eue auparavant. À peine cette parole fut-elle sortie de la bouche de la divine dame Marie que le mulet, changé tout à coup, reprit la forme humaine, et redevint un jeune homme, sans qu’il lui restât la moindre difformité. Alors lui, sa mère, et ses sœurs, adoraient la divine dame Marie, et baisaient l’enfant en l’élevant sur leurs têtes, disant[1] : Bienheureuse est votre mère, ô Jésus ! ô Sauveur du monde ! bienheureux sont les yeux[2] qui jouissent du bonheur de vous voir !

XXII. — Au reste, les deux sœurs disaient à leur mère : Cer-

  1. Luc, ii, v. 27. (Note de Voltaire.)
  2. Luc, x, v. 23. (Id.)