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Ils furent mordus tous par la dent de l’Envie ;
On fit de ces héros cent contes odieux;
On les persécuta tout le temps de leur vie :
Furent-ils enterrés, le monde en fit des dieux.

Il était bien vilain, sans doute, de donner des ridicules à Triptolème, pour prix de son blé; de dire des sottises de Bacchus, lorsqu’on buvait son vin; de reprocher à Hercule ses amourettes, quand il nous délivrait de l’hydre, et qu’il nettoyait nos écuries. Mais aussi il est bien beau de diviniser les Hercule, malgré les Eurysthée.

L’antiquité n’a rien de si honnête que d’avoir placé dans ce qu’on appelait le ciel les grands hommes qui avaient fait du bien aux autres hommes. Les sages ne s’opposaient point à ces apothéoses : ils savaient bien que le sot peuple prend l’air et les nuages pour le ciel; que chaque sphère qui roule dans l’espace est entourée de son atmosphère; que notre terre est un ciel pour Vénus et pour Mars, comme Mars et Vénus sont des cieux pour nous: que Jupiter n’assemble point son conseil sur le mont Olympe en Thessalie; qu’un dieu ne vient point dans une nue comme à notre Opéra. Hs savaient bien que ni le corps d’Hercule, ni son petit simulacre léger, qu’on appelait àme, vent, souffle, mânes, n’avaient point épousé Hébé, et ne buvaient point du nectar avec elle. Mais ces sages trouvaient fort bon qu’on élevât des autels au protecteur des opprimés; c’était dire aux princes : « Faites comme lui, vous serez comme lui. »

On a calomnié bien ridiculement, bien indignement, l’anti- quité. Nos plats livres nous disent continuellement que les anciens rendaient à la créature l’hommage qu’ils ne devaient qu’au Créateur. Vous en avez menti, livres de préjugés, archives d’erreurs : depuis Orphée et Homère jusqu’à Virgile, depuis Thalès jusqu’à Pline, il n’y a pas un seul poète, un seul philosophe qui ait admis plusieurs dieux suprêmes. Le Jéhovah des Phéniciens, adopté en Egypte et ensuite en Palestine, le Zeus des Grecs, le Jupiter des Latins, a toujours été constamment, invariablement, le dieu unique, le dieu maître, le dieu formateur, le souverain des dieux secondaires et des hommes : « Divuni sator atque hominum rex^. »

Il faut convenir que les anciens avaient plus de vénération pour leurs dieux secondaires que nous pour les nôtres. On ne

1. Voyez tome XVIII, page 360.