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346 L'A, B, C.

cet autre tous tue; un nouveau venu* empoisonne Totre fils, et devient l'oracle de votre petit-fils.

C.

Cela est curieux. J'aurais bien voulu voir, en exceptant Moïse et les autres véritablement inspirés, le premier impudent qui osa faire parler Dieu.

A.

Je pense qu'il était un composé de fanatisme et de fourberie. La fraude seule ne suffirait pas : elle fascine, et le fanatisme sub- jugue. Il est vraisemblable, comme dit un de mes amis^ que ce métier commença par les rêves. Un homme d'une imagination allumée voit en songe son père et sa mère mourir; ils sont tous deux vieux et malades, ils meurent : le rêve est accompli; le voilà persuadé qu'un dieu lui a parlé en songe. Pour peu qu'il soit audacieux et fripon (deux choses très-communes), il se met à prédire au nom de ce dieu. Il voit que, dans une guerre, ses compatriotes sont six contre un : il leur prédit la victoire, à con- dition qu'il aura la dîme du butin.

Le métier est bon ; mon charlatan forme des élèves qui ont tous le même intérêt que lui. Leur autorité augmente par leur nombre. Dieu leur révèle que les meilleurs morceaux des mou- tons et des bœufs, les volailles les plus grasses, la mère-goutte du vin, leur appartiennent.

The pi'iests eat roast-beef, and the people stare '.

Le roi du pays fait d'abord un marché avec eux pour être mieux obéi par le peuple; mais bientôt le monarque est la dupe du marché : les charlatans se servent du pouvoir que le monarque leur a laissé prendre sur la canaille, pour l'asservir lui-même. Le monarque regimbe, le prêtre le dépossède au nom de Dieu. Samuel détrône Saûl, Grégoire VII détrône l'empereur Henri IV, et le prive de la sépulture. Ce système diabolico-théocratique dure jusqu'à ce qu'il se trouve des princes assez bien élevés, et qui aient assez d'esprit et de courage pour rogner les ongles aux Samuel et aux Grégoire. Telle est, ce me semble, l'histoire du genre humain.

��1. Van Swieten, médecin de la cour de Vienne, avait tué Charles-Joseph-Emma- nuel; voyez la note, tome XXV, page 337.

2. Voltaire lui-même; voyez tome XI, page 17.

3. C'est-à-dire : « le prêtre mange le rosbif, et le peuple le regarde faire. »

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