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L'A, B, C. 333

rible, quoi qu'en dise l'abbé de Caveyrac^ mais enfin, quand on voit tout Paris occupé de la musique de Rameau, ou de Zaire, ou de rOpéra-Comique, ou des tableaux exposés au Salon, ou de Ramponeau, ou du singe de Nicolet, on oublie que la moitié de la nation égorgea l'autre pour des arguments théologiques, il y aura bientôt deux cents ans tout juste^. Les supplices abominables des Jeanne Grey, des Marie Stuart, des Charles V\ ne se renou- vellent pas chez vous tous les jours.

Ces horreurs épidémiques sont comme ces grandes pestes qui ravagent quelquefois la terre; après quoi on laboure, on sème, on recueille, on boit, on danse, on fait Tamour sur les cendres des morts qu'on foule aux pieds; et, comme l'a dit un homme qui a passé sa vie à sentir, à raisonner, et à plaisanter ^ « si tout n'est pas bien, tout est passable ».

Il y a telle province, comme la Touraine, par exemple, où l'on n'a pas commis un grand crime depuis cent cinquante années. Venise a vu plus de quatre siècles s'écouler sans la moindre sédi- tion dans son enceinte, sans une seule assemblée tumultueuse : il y a mille villages en Europe où il ne s'est pas commis un meurtre depuis que la mode de s'égorger pour la religion est un peu passée : les agriculteurs n'ont pas le temps de se dérober à leurs travaux; leurs femmes et leurs filles les aident, elles cousent, elles filent, elles pétrissent, elles enfournent ( non pas comme l'archevêque La Casa*); toutes ces bonnes gens sont trop occupés pour songer à mal. Après un travail agréable pour eux, parce qu'il leur est nécessaire, ils font un léger repas que l'appétit as- saisonne, et cèdent au besoin de dormir pour recommencer le lendemain. Je ne crains pour eux que les jours de fêtes, si ridi- culement consacrés à psalmodier, d'une voix rauque et discor- dante, du latin qu'ils n'entendent point, et à perdre leur raison dans un cabaret, ce qu'ils n'entendent que trop, Encoi'e une fois, si tout n'est pas bien, tout est passable.

B.

Par quelle rage a-t-on donc pu imaginer qu'il existe un lutin doué d'une gueule béante, de quatre griffes de lion et d'une

1. Voyez tome XXIV, page 476.

2. La Saint-Barthélémy est de 1572; Voltaire écrivait en 1768.

3. Voltaire lui-même ; voyez tome XXI, page 16.

4. Voyez les CapitoU de monsignor La Casa, archevêque de Bcnévent ; vous verrez comme il enfournait. [Note de Voltaire.) — Voltaire, tome XVIII, page 27, dit quel est le sujet du conte intitulé Capitolo del fonio.

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