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322 L'A, B, C.

le grand Bossuet, ont dit très-souvent ce qu'ils ne pensaient pas. 11 a partout fait souvenir les hommes qu'ils sont libres; il présente à la nature humaine ses titres qu'elle a perdus dans la plus grande partie de la terre; il combat la superstition, il inspire la morale. Je vous avouerai encore combien je suis affligé qu'un livre qui pouvait être si utile soit fondé sur une distinction chimérique. La vertu, dit-il, est le principe des républiques ', l'honneur l'est des monarchies ^ On n'a jamais assurément formé des républiques par vertu. L'intérêt public s'est opposé à la domination d'un seul ; l'esprit de propriété, l'ambition de chaque particulier, ont été un frein à l'ambition et à l'esprit de rapine. L'orgueil de chaque citoyen a veillé sur l'orgueil de son voisin. Personne n'a voulu être l'esclave de la fantaisie d'un autre. Voilà ce qui établit une répu- blique, et ce qui la conserve. Il est ridicule d'imaginer qu'il faille plus de vertu à un Grisou qu'à un Espagnol ^

��1. Liv. III, ch. in.

2. Liv. Jn, ch. M.

3. Cette idée de Montesquieu a été regardée par les uns comme un principe lumineux, et par d'autres comme une subtilité démentie par les faits : qu'il nous soit permis d'entrer à cet égard dans quelques discussions.

1" Montesquieu, en disant que la vertu était le principe des républiques, et l'honneur celui des monarchies, n'a point voulu parler, sans doute, des motifs qui dirigent les hommes dans leurs actions particulières. Partout l'intérêt et un certain principe de bienveillance pour les autres, qui ne quitte jamais les hommes, sont le motif le plus fréquent ; la crainte de l'opinion, le second ; l'amour de la vertu est le dernier et le plus rare. Dans certains pays, la terreur ou les espé- rances religieuses tiennent lieu presque généralement de l'amour de la vertu.

Il est donc vraisemblable que, par principes des différents gouvernements, Montesquieu a entendu seulement les motifs qui y font agir les hommes dans leurs actions publiques, dans celles qui ont rapport aux devoirs des citoyens.

Or, sous ce point de vue, les républiques, étant l'espèce de gouvernement où les hommes peuvent tirer le plus d'avantage de l'opinion publique, paraissent devoir être les constitutions dont l'honneur soit plus particulièrement le prin- cipe.

2" L'expression de Montesquieu peut avoir encore un autre sens : elle peut signifier que, dans une monarchie, on évite les mauvaises actions comme désho- norantes, et dans une république comme vicieuses. Si par vicieuses on entend contraires à la justice naturelle, cette opinion n'est pas fondée : la morale des républicains est très-relàchée; en général, ils se permettent sans scrupule tout ce qui est utile à l'intérêt de la patrie, ou à ce que leur parti regarde comme l'inté- rêt de la patrie; tout ce qui peut leur mériter l'estime de leurs concitoyens ou de leur parti. Ils sont donc moins guidés par la véritable vertu que par l'honneur et la justice d'opinion.

3" Il y a enfin un troisième sens: Montesquieu a-t-il voulu dire que, dans les monarchies, on fait par amour de la gloire ce que, dans les républiques, on fait par esprit patriotique? Dans ce sens, nous ne pouvons être de son avis; l'amour de la gloire, la crainte de l'opinion est un ressort de tous les gouvernements. Il aurait fallu dire, dans ce sens, que l'hoimeur et la vertu sont le principe des

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