Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/320

Cette page n’a pas encore été corrigée

312 L'A, B, C.

peu quand elles ennuient ; il me parait de plus qu'il est quelque- fois un fort mauvais raisonneur, Montesquieu a beaucoup d'ima- gination sur un sujet qui semblait n'exiger que du jugement : il se trompe trop souvent sur les faits ; mais je crois qu'il se trompe aussi quelquefois quand il raisonne, Hobbes est bien dur, ainsi que son style, mais j'ai peur que sa dureté ne tienne souvent à la vérité. En un mot, Grotius est un franc pédant, Hobbes un triste philosophe, et Montesquieu un bel esprit humain.

C. Je suis assez de cet avis, La vie est trop courte, et on a trop de choses à faire pour apprendre de Grotius^ que, selon Tertul- lien, « la cruauté, la fraude et l'injustice, sont les compagnes de la guerre » ; que « Carnéade défendait le faux comme le vrai » ; qu'Horace a dit dans une satire : « La nature ne peut discerner le juste de l'injuste"-; » que, selon Plutarque, « les enfants ont de

1. Ce que l'interlocuteur C dit de Tertullien, de Carnéade... se trouve dans les Prolégomènes du Droit de la Guerre et de la Paix. ( Cl.)

2. Neo natura potest justo secernere iniquum.

Ce cruel vers se trouve dans la troisième satire. Horace veut prouver, contre les stoïciens, que tous les délits ne sont pas égaux. Il faut, dit-il, que la peine soit proportionnée à la faute.

Adsit

Régula, peccatis quae pœnas irroget œquas.

(I, sat. m, V. 117-118.)

C'est la raison, la loi naturelle qui enseigne cette justice; la nature connaît donc le juste et l'injuste. Il est bien évident que la nature enseigne à toutes les mères qu'il vaut mieux corriger son enfant que de le tuer; qu'il vaut mieux lui donner du pain que de lui crever un œil ; qu'il est plus juste de secourir son père que de le laisser dévorer par une bète féroce, et plus juste de remplir sa promesse que de la violer.

Il y a dans Horace, avant ce vers de mauvais exemple :

Nec natura potest justo secernere iniquum,

« la nature ne peut discerner le juste de l'injuste »; il y a, dis-je, un autre vers qui semble dire tout le contraire :

Jura inventa metu injusti fateare necesse est.

(Vers 111.)

« Il faut avouer que les lois n'ont été inventées que par la crainte de l'injus- tice. »

La nature avait donc discerné le juste et l'injuste avant qu'il y eût des lois. Pourquoi serait-il d'un autre avis que Cicéron et que tous les moralistes qui admettent la loi naturelle? Horace était un débauché qui recommande les filles de joie et les petits garçons, j'en conviens: qui se moque des pauvres vieilles, d'accord; qui flatte plus lâchement Octave qu'il n'attaque cruellement des citoyens obscurs, il est vrai ; qui change souvent d'opinion, j'en suis fâché; mais je soup-

�� �