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CHAPITRE XXVIII.


anglais, en italien, en français, et en allemand. Nous protestons devant Dieu que le blasphème en question n’est dans aucun de ces livres. Nous avons cru enfin qu’il pourrait se rencontrer dans le discours qui sert de préface à l’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique. On prétend que cet Avant-Propos est d’un héros philosophe[1] né dans une autre communion que la nôtre : génie sublime, dit-on, qui a sacrifié également à Mars, à Minerve, et aux Grâces ; mais qui, ayant le malheur de n’être pas né catholique romain, et se trouvant sous le joug de la réprobation éternelle, s’est trop livré aux enseignements trompeurs de la raison, qui égare incontestablement quiconque n’écoute qu’elle. Je ne forme point de jugement téméraire : je suis loin de penser qu’un si grand homme ne soit pas chrétien. Voici les paroles de cette préface :

« L’établissement de la religion chrétienne a eu, comme tous les empires, de faibles commencements. Un Juif de la lie du peuple, dont la naissance est douteuse ; qui mêle aux absurdités d’anciennes prophéties hébraïques, des préceptes d’une bonne morale : auquel on attribue des miracles, et qui finit par être condamné à un supplice ignominieux, est le héros de cette secte. Douze fanatiques se répandent de l’orient jusqu’en Italie ; ils gagnent les esprits par cette morale si sainte et si pure qu’ils prêchaient ; et, si l’on excepte quelques miracles propres à ébranler les imaginations ardentes, ils n’enseignaient que le déisme. Cette religion commençait à se répandre dans le temps que l’empire romain gémissait sous la tyrannie de quelques monstres qui le gouvernèrent consécutivement. Durant ces règnes de sang, le citoyen préparé à tous les malheurs qui peuvent accabler l’humanité ne trouvait de consolation et de soutien contre d’aussi grands maux que dans le stoïcisme. La morale des chrétiens ressemblait à cette doctrine, et c’est l’unique cause de la rapidité des progrès que fit cette religion. Dès le règne de Claude, les chrétiens formaient des assemblées nombreuses, où ils prenaient des agapes, qui étaient des soupers en communauté. »

Ces paroles sont audacieuses, elles sont d’un soldat qui sait mal farder ce qu’il croit la vérité[2] ; mais, après tout, elles disent positivement le contraire du blasphème annoncé par Chiniac.

  1. Il avait paru un Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury (par l’abbé de Prades), 1766, deux volumes in-8°, dont l’Avant-Propos est du roi de Prusse. Cet Avant-Propos n’a pas été admis dans les diverses éditions des Œuvres (primitives) de Frédéric II ; mais le tome VI et dernier d’un Supplément aux Œuvres posthumes comprend l’Abrégé lui-même et l’Avant-Propos. (B.)
  2. Vers de Racine, Britannicus, acte I, scène ii.