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SOTTISE INFÂME DE CHINIAC.


concernant Pepin. L’inscription affirme que Pepin est le premier qui ait ouvert la voie. Cela est faux : avant lui, Constantin avait donné des terres à l’évêque et à l’église de Saint-Jean-de-Latran de Rome jusque dans la Calabre. Les évêques de Rome avaient obtenu de nouvelles terres des empereurs suivants. Ils en avaient en Sicile, en Toscane, en Ombrie ; ils avaient les justices de Saint-Pierre, et des domaines dans la Pentapole. Il est très-probable que Pepin augmenta ces domaines. De quoi se plaint donc le commentateur ? Que prétend-il ? Pourquoi dit-il que l’auteur de l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations « est trop peu versé dans ces connaissances, ou trop fourbe pour mériter quelque attention » ? Quelle fourberie, je vous prie, y a-t-il de dire son avis sur Ravenne et sur la Pentapole ? Nous avouons que c’est là parler en digne commentateur ; mais ce n’est pas, à ce qu’il nous semble, parler en homme versé dans ces connaissances, ni versé dans la politesse, ni même versé dans le sens commun.

L’auteur de l’Essai sur les Mœurs, etc., qui affirme peu, se fonde pourtant sur le testament même de Charlemagne pour affirmer qu’il était souverain de Rome et de Ravenne, et que par conséquent il n’avait point donné Ravenne au pape. Charlemagne fait des legs à ces villes, qu’il appelait nos principales villes. Ravenne était la ville de l’empereur, et non pas celle du pape.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le commentateur est lui-même entièrement de l’avis de mon auteur : il n’écrit que d’après lui ; il veut prouver, comme lui, que Charlemagne avait le pouvoir suprême dans Rome, et, oubliant tout d’un coup l’état de la question, il se répand en invectives ridicules contre son propre guide. Il est en colère de ne savoir pas quelle était l’étendue et la borne du nouveau pouvoir de Charlemagne dans Rome. Je ne le sais pas plus que lui, et cependant je m’en console. Il est vraisemblable que ce pouvoir était fort mitigé pour ne pas trop choquer les Romains. On peut être empereur sans être despotique. Le pouvoir des empereurs d’Allemagne est aujourd’hui très-borné par celui des électeurs et des princes de l’empire. Le commentateur peut rester sans scrupule dans son ignorance pardonnable ; mais il ne faut pas dire de grosses injures parce qu’on est un ignorant, car, lorsque l’on dit des injures sans esprit, on ne peut ni plaire ni instruire : le public veut qu’elles soient fines, ingénieuses, et à propos. Il n’appartient même que très-rarement à l’innocence outragée de repousser la calomnie dans le style des Philippiques ; et peut-être n’est-il permis d’en user ainsi que quand la calomnie met en danger un honnête homme : car alors c’est