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CHAPITRE XVIII.


d’une troupe de brigands, qui même ne portaient pas d’autre nom[1] ; Pierre est pris à son tour ; le bâtard Henri de Transtamare l’assassine indignement dans sa tente : voilà Pierre condamné par les contemporains. Il n’est plus connu de la postérité que par le surnom de Cruel, et les historiens tombent sur lui comme des chiens sur un cerf aux abois[2].

Donnez-vous la peine de lire les mémoires de Marie de Médicis : le cardinal de Richelieu est le plus ingrat des hommes, le plus fourbe et le plus lâche des tyrans. Lisez, si tous pouvez, les épîtres dédicatoires adressées à ce ministre : c’est le premier des mortels, c’est un héros, c’est même un saint ; et le petit flatteur Sarrasin, singe de Voiture, l’appelle le divin cardinal dans son ridicule éloge de la ridicule tragédie de l’Amour tyrannique, composée par le grand Scudéri sur les ordres du cardinal divin.

La mémoire du pape Grégoire VII est en exécration en France et en Allemagne. Il est canonisé à Rome.

De telles réflexions ont porté plusieurs princes à ne se point soucier de leur réputation ; mais ceux-là ont eu plus grand tort que tous les autres, car il vaut mieux, pour un homme d’État, avoir une réputation contestée que de n’en point avoir du tout.

Il n’en est pas des rois et des ministres comme des femmes, dont on dit que celles dont on parle le moins sont les meilleures[3]. Il faut qu’un prince, un premier ministre aime l’État et la gloire. Certaines gens disent que c’est un défaut en morale ; mais, s’il n’a pas ce défaut, il ne fera jamais rien de grand.


CHAPITRE XVIII.
de quelques contes.

Est-il quelqu’un qui ne doute un peu du pigeon qui apporta du ciel une bouteille d’huile à Clovis, et de l’ange qui apporta l’oriflamme ? Clovis ne mérita guère ces faveurs en faisant assassiner les princes ses voisins. Nous pensons que la majesté bienfaisante de nos rois n’a pas besoin de ces fables pour disposer le peuple à l’obéissance, et qu’on peut révérer et aimer son roi sans miracle.

  1. Voltaire lui-même les appelle Malandrins : voyez tome XII, page 30.
  2. Voyez, tome VI du Théâtre, la dernière tirade de la tragédie de Don Pèdre.
  3. Fin du discours de Périclès, prononcé pour les funérailles des guerriers morts. Thucydide, livre II.