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DE NÉRON ET D'AGRIPPINE.


Voilà un sage précepteur que ce Sénèque ! quel philosophe ! Vous observerez qu’Agrippine avait alors environ cinquante ans. Elle était la seconde des six enfants de Germanicus, que Tacite prétend, sans aucune preuve, avoir été empoisonné. Il mourut l’an 19 de notre ère, et laissa Agrippine âgée de dix ans.

Agrippine eut trois maris. Tacite dit que, bientôt après l’époque de ces caresses incestueuses, Néron prit la résolution de tuer sa mère. Elle périt en effet l’an 59 de notre ère vulgaire. Son père Germanicus était mort il y avait déjà quarante ans. Agrippine en avait donc à peu près cinquante, lorsqu’elle était supposée solliciter son fils à l’inceste. Moins un fait est vraisemblable, plus il exige de preuves. Mais ce Cluvius cité par Tacite prétend que c’était une grande politique, et qu’Agrippine comptait par là fortifier sa puissance et son crédit. C’était au contraire s’exposer au mépris et à l’horreur. Se flattait-elle de donner à Néron plus de plaisirs et de désirs que de jeunes maîtresses ? Son fils, bientôt dégoûté d’elle, ne l’aurait-il pas accablée d’opprobre ? N’aurait-elle pas été l’exécration de toute la cour ? Comment d’ailleurs ce Cluvius peut-il dire qu’Agrippine voulait se prostituer à son fils en présence de Sénèque et des autres convives ? De bonne foi, une mère couche-t-elle avec son fils devant son gouverneur et son précepteur, en présence des convives et des domestiques ?

Un autre historien véridique de ces temps-là, nommé Fabius Rusticus, dit que c’était Néron qui avait des désirs pour sa mère, et qu’il était sur le point de coucher avec elle, lorsque Acté vint se mettre à sa place. Cependant ce n’était point Acté qui était alors la maîtresse de Néron, c’était Poppée ; et soit Poppée, soit Acté, soit une autre, rien de tout cela n’est vraisemblable.

Il y a dans la mort d’Agrippine des circonstances qu’il est impossible de croire. D’où a-t-on su que l’affranchi Anicet, préfet de la flotte de Misène, conseilla de faire construire un vaisseau qui, en se démontant en pleine mer, y ferait périr Agrippine ? Je veux qu’Anicet se soit chargé de cette étrange invention ; mais il me semble qu’on ne pouvait construire un tel vaisseau sans que les ouvriers se doutassent qu’il était destiné à faire périr quelque personnage important. Ce prétendu secret devait être entre les mains de plus de cinquante travailleurs. Il devait bientôt être connu de Rome entière ; Agrippine devait en être informée, et quand Néron lui proposa de monter sur ce vaisseau, elle devait bien sentir que c’était pour la noyer.

Tacite se contredit certainement lui-même dans le récit de