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DE BOSSUET.


C’est un saint Romain que l’empereur Dioclétien fait jeter au feu. Des Juifs, qui étaient présents, se moquent de saint Romain, et disent que leur dieu délivra des flammes Sidrac, Misac et Abdénago, mais que le petit saint Romain ne sera pas délivré par le dieu des chrétiens. Aussitôt il tombe une grande pluie qui éteint le bûcher, à la honte des Juifs. Le juge, irrité, condamne saint Romain à perdre la langue (apparemment pour s’en être servi à demander de la pluie). Un médecin de l’empereur, nommé Ariston, qui se trouvait là, coupe aussitôt la langue de saint Romain jusqu’à la racine. Dès que le jeune homme, qui était né bègue, eut la langue coupée, il se met à parler avec une volubilité inconcevable. « Il faut que vous soyez bien maladroit, dit l’empereur au médecin, et que vous ne sachiez pas couper des langues. » Ariston soutient qu’il a fait l’opération à merveille, et que Romain devrait en être mort au lieu de tant parler. Pour le prouver, il prend un passant, lui coupe la langue, et le passant meurt.

C’est un cabaretier chrétien nommé Théodote[1], qui prie Dieu de faire mourir sept vierges chrétiennes de soixante et dix ans chacune, condamnées à coucher avec les jeunes gens de la ville d’Ancyre. L’abbé Fleury devait au moins s’apercevoir que les jeunes gens étaient plus condamnés qu’elles. Quoi qu’il en soit, saint Théodote prie Dieu de faire mourir les sept vierges : Dieu lui accorde sa demande. Elles sont noyées dans un lac ; saint Théodote vient les repêcher, aidé d’un cavalier céleste qui court devant lui. Après quoi il a le plaisir de les enterrer, ayant, en qualité de cabaretier, enivré les soldats qui les gardaient.

Tout cela se trouve dans le second tome de l’Histoire de Fleury, et tous ses volumes sont remplis de pareils contes. Est-ce pour insulter au genre humain, j’oserais presque dire pour insulter à Dieu même, que le confesseur d’un roi a osé écrire ces détestables absurdités ? Disait-il en secret à son siècle : Tous mes contemporains sont imbéciles, ils me liront, et ils me croiront ? Ou bien disait-il : Les gens du monde ne me liront pas, les dévotes imbéciles me liront superficiellement, et c’en est assez pour moi ?

Enfin l’auteur des discours peut-il être l’auteur de ces honteuses niaiseries ? Voulait-il, attaquant les usurpations papales dans ses discours, persuader qu’il était bon catholique en rapportant des inepties qui déshonorent la religion ? Disons, pour sa justification, qu’il les rapporte comme il les a trouvées, et qu’il

  1. Voyez tome XX, page 42 ; XXVI, 267.