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illustre maison. Le pape s’empara même de tout le mobilier. Il se plaignit amèrement de ne point trouver parmi ces effets une grosse perle estimée deux mille ducats, et une cassette pleine d’or qu’il savait être chez le cardinal. La mère de ce malheureux prélat, âgée de quatre-vingts ans, craignant qu’Alexandre VI, selon sa coutume, n’empoisonnât son fils, vint en tremblant lui apporter la perle et la cassette ; mais son fils était déjà empoisonné, et rendait les derniers soupirs. Il est certain que si la perle est encore, comme on le dit, dans le trésor des papes, ils doivent en conscience la rendre à la maison des Ursins, avec l’argent qui était dans la cassette.

conclusion.

Après avoir rapporté, dans la vérité la plus exacte, tous ces faits, dont on peut tirer quelques conséquences et dont on peut faire quelque usage honnête, je ferai remarquer à tous les intéressés qui pourront jeter les yeux sur ces feuilles que les papes n’ont pas un pouce de terre en souveraineté qui n’ait été acquis par des troubles ou par des fraudes. À l’égard des troubles, il n’y a qu’à lire l’histoire de l’empire et les jurisconsultes d’Allemagne. À l’égard des fraudes, il n’y a qu’à jeter les yeux sur la donation de Constantin et sur les décrétales.

La donation de la comtesse Mathilde[1] au doux et modeste Grégoire VII est le titre le plus favorable aux évêques de Rome. Mais, en bonne foi, si une femme à Paris, à Vienne, à Madrid, à Lisbonne, déshéritait tous ses parents, et laissait tous ses fiefs masculins, par testament, à son confesseur, avec ses bagues et joyaux, ce testament ne serait-il pas cassé suivant les lois expresses de tous ces États ?

On nous dira que le pape est au-dessus de toutes les lois, qu’il peut rendre juste ce qui est injuste : potest de injustitia facere justitiam ; papa est supra jus, contra jus, et extra jus ; c’est le sentiment de Bellarmin[2], c’est l’opinion des théologiens romains. À cela nous n’avons rien à répondre. Nous révérons le siège de Rome ; nous lui devons les indulgences, la faculté de tirer des âmes du purgatoire, la permission d’épouser nos belles-sœurs et nos nièces l’une après l’autre, la canonisation de saint Ignace, la sûreté d’aller en paradis en portant le scapulaire ; mais ces

  1. Voyez tome XI, page 395 ; XVIII, 417.
  2. De romano Pontifice, tome I, liv. iv. (Note de Voltaire.)