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DE LA CHINE. 13

faire du sang avec du vin rouge qu'avec du vin paillet. Sa Majesté trouva cette raison excellente, et ordonna qu'on fît venir une bouteille de vin rouge. En attendant il s'amusa à considérer les dieux que frère Rigolet avait apportés dans la poche de sa culotte. Il fut tout étonné de trouver sur ces morceaux de pâte la figure empreinte d'un patibulaire et d'un pauvre diable qui y était atta- ché. « Eh ! sire, lui dit Rigolet, ne vous souvenez-vous pas que je vous ai dit que notre dieu avait été pendu ? Nous gravons tou- jours sa potence sur ces petits pains que nous changeons en dieux. Nous mettons partout des potences dans nos temples, dans nos maisons, dans nos carrefours, dans nos grands chemins; nous chantons M Bonjour, notre unique espérance. Nous avalons Dieu avec sa potence.

— C'est fort bien, dit l'empereur ; tout ce que je vous sou- haite, c'est de ne pas finir comme lui. ;>

Cependant on apporta la bouteille de vin rouge : frère Rigolet la posa sur une table avec sa boîte de fer-blanc, et, tirant de sa poche un livre tout gras, il le plaça à sa main droite; puis, se tour- nant vers l'empereur, il lui dit : (( Sire, j'ai l'honneur d'être por- tier, lecteur, conjureur, acolyte, sous-diacre, diacre, et prêtre. Notre saint-père le pape, le grand Innocent III, dans son premier livre des Mystères de la messe, a décidé que notre dieu avait été portier, quand il chassa à coups de fouet - de bons marchands qui avaient la permission de vendre des tourterelles à ceux qui venaient sacrifier dans le temple. Il fut lecteur, quand, selon saint Luc ', il prit le livre dans la synagogue, quoiqu'il ne sût ni lire ni écrire ; il fut conjureur, quand il envoya des diables * dans des cochons; il fut acolyte, parce que le prophète juif Jérémie avait dit: Je suis la lumière dumonde^, et que les acolytes portent des chandelles; il fut sous-diacre, quand il changea l'eau en vin", parce que les sous-diacres servent à table ; il fut diacre, quand il nourrit quatre mille hommes , sans compter les femmes et les petits enfants, avec sept petits pains et quelques goujons, dans le pays de Magédan, connu de toute la terre, selon saint Matthieu; ou bien quand il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains et

1. crux, ave, spes unica. {Noie de Voltaire.) — C'est le premier vers de la sixième strophe de l'hymne du jour de la Passion. (B.)

2. Jean, n, 15.

3. IV, 17.

4. Matt., VIII, 32; ibid.^ v, 13.

5. C'est dans saint Jean, ch. viii, v. 12, et ix, 5, que se trouvent ces paroles.

6. Jean, ii, 0.

7. Matt., XV, 34-38.

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