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trois points principaux, accordés par le pape Urbain II à Roger, roi de Sicile :

Le premier, de ne recevoir aucun légat a latere[1] qui fasse les fonctions de pape, sans le consentement du souverain ;

Le second, de faire chez soi ce que cet ambassadeur étranger s’arrogeait de faire ;

Le troisième, d’envoyer aux conciles de Rome les évêques et les abbés qu’il voudrait.

C’était bien le moins qu’on pût faire pour un homme qui avait délivré la Sicile du joug des Arabes, et qui l’avait rendue chrétienne. Ce prétendu privilége n’était autre chose que le droit naturel, comme les libertés de l’Église gallicane ne sont que l’ancien usage de toutes les Églises.

Ces priviléges ne furent accordés par Urbain II, confirmés et augmentés par quelques papes suivants, que pour tâcher de faire un fief apostolique de la Sicile, comme ils l’avaient fait de Naples ; mais les rois ne se laissèrent pas prendre à ce piège. C’était bien assez d’oublier leur dignité jusqu’à être vassaux en terre ferme ; ils ne le furent jamais dans l’île.

Si l’on veut savoir une des raisons pour laquelle ces rois se maintinrent dans le droit de ne point recevoir de légat, dans le temps que tous les autres souverains de l’Europe avaient la faiblesse de les admettre, la voici dans Jean, évêque de Salisbury : « Legati apostolici… ita debacchantur in provinciis, ac Satan ad Ecclesiam flagellandam a facie Domini. Provinciarum diripiunt spolia, ac si thesauros Cræsi studeant comparare. — Ils saccagent le pays, comme si c’était Satan qui flagellât l’Église loin de la face du Seigneur. Ils enlèvent les dépouilles des provinces, comme s’ils voulaient amasser les trésors de Crésus. »

Les papes se repentirent bientôt d’avoir cédé aux rois de Sicile un droit naturel : ils voulurent le reprendre. Baronius soutint enfin que ce privilége était subreptice, qu’il n’avait été vendu aux rois de Sicile que par un antipape ; et il ne fait nulle difficulté de traiter de tyrans tous les rois successeurs de Roger.

Après des siècles de contestations et d’une possession toujours constante des rois, la cour de Rome crut enfin trouver une occasion d’asservir la Sicile, quand le duc de Savoie, Victor-Amédée, fut roi de cette île en vertu des traités d’Utrecht.

Il est bon de savoir de quel prétexte la cour romaine moderne se servit pour bouleverser ce royaume, si cher aux anciens Ro-

  1. Voyez la note, tome XI, page 362.