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presque tous les jurisconsultes comme de tous les théologiens. Chacun tire, bien ou mal, d’un principe reçu les conséquences les plus favorables à son parti ; mais ce principe est-il vrai ? ce premier fait sur lequel ils s’appuient est-il incontestable ? c’est ce qu’ils se donnent bien de garde d’examiner. Ils ressemblent à nos anciens romanciers, qui supposaient tous que Francus avait apporté en France le casque d’Hector. Ce casque était impénétrable, sans doute ; mais Hector, en effet, l’avait-il porté ? Le lait de la Vierge est aussi très-respectable ; mais les sacristies qui se vantent d’en posséder une roquille la possèdent-elles en effet ?

Giannone est le seul qui ait jeté quelque jour sur l’origine de la domination suprême affectée par les papes sur le royaume de Naples. Il a rendu en cela un service éternel aux rois de ce pays, et, pour récompense, il a été abandonné par l’empereur Charles VI, alors roi de Naples, à la persécution des jésuites ; trahi depuis par la plus lâche des perfidies, sacrifié à la cour de Rome, il a fini sa vie dans la captivité[1]. Son exemple ne nous découragera pas. Nous écrivons dans un pays libre ; nous sommes nés libres, et nous ne craignons ni l’ingratitude des souverains, ni les intrigues des jésuites, ni la vengeance des papes. La vérité est devant nous, et toute autre considération nous est étrangère.

C’était une coutume dans ces siècles de rapines, de guerres particulières, de crimes, d’ignorance et de superstition, qu’un seigneur faible, pour être à l’abri de la rapacité de ses voisins, mît ses terres sous la protection de l’Église, et achetât cette protection pour quelque argent ; moyen sans lequel on n’a jamais réussi. Ses terres alors étaient réputées sacrées : quiconque eût voulu s’en emparer était excommunié.

Les hommes de ce temps-là, aussi méchants qu’imbéciles, ne s’effrayaient pas des plus grands crimes et redoutaient une excommunication, qui les rendait exécrables aux peuples, encore plus méchants qu’eux et beaucoup plus sots.

Robert Guiscard et Richard, vainqueurs de la Pouille et de la Calabre, furent d’abord excommuniés par le pape Léon IX. Ils s’étaient déclarés vassaux de l’empereur ; mais l’empereur Henri III, mécontent de ces feudataires conquérants, avait engagé Léon IX à lancer l’excommunication à la tête d’une armée d’Allemands. Les Normands, qui ne craignaient point ces foudres comme les princes d’Italie les craignaient, battirent les Allemands et prirent

  1. À Turin, en 1748, après douze ans d’emprisonnement. Son Histoire civile du royaume de Naples est de 1723.