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coup examiné. « Les Américains, dit-il, page 125 du premier volume 1, surtout les Canadiens, excepté les Esquimaux, n’ont ni poil ni barbe, etc. » Son éditeur, qui a fait imprimer le manuscrit de Maillet chez la veuve Duchesne, fait une note sur ce texte, et dit fièrement : « Telliamed se trompe ; les sauvages de l’Amérique ne sont point sans poil et sans barbe ; ils n’en ont point parce que, s’arrachant le poil, ou le faisant tomber à mesure qu’il paraît, ils se frottent ensuite du jus de certaines herbes pour l’empêcher de croître de nouveau. »

Avec quelle confiance, avec quelle ignorance intrépide ce badaud de Paris prétend-il que les Brasiliens, et les Canadiens, et les Patagons, se sont donné le mot de s’arracher le poil sans avoir des pinces ! Quel secret se sont-ils communiqué du fleuve Saint-Laurent au cap de Horn pour empêcher la barbe de croître ? Quel est le voyageur, le colon américain, qui ne sache que ces peuples n’ont jamais eu de poil en aucune partie de leur corps ?

Les hommes, dans le nouveau monde, en sont privés, comme les lions y sont privés de crins 2 ; toute la nature était différente de la nôtre en Amérique quand nous la découvrîmes ; de même que, sur les bords méridionaux de l’Afrique, il n’y avait rien qui ressemblât aux productions de notre Europe, ni hommes, ni quadrupèdes, ni oiseaux, ni plantes.

Croira-t-on de bonne foi qu’un Lapon et un Samoyède soient de la race des anciens habitants des bords de l’Euphrate ? Leurs rangifères ou rennes, animaux qui ne se trouvent point ailleurs et qui ne peuvent vivre ailleurs, descendent-ils des cerfs de la forêt de Senlis ? Il n’a pas certainement été plus difficile à la nature de faire des Lapons et des rangifères que des nègres et des éléphants.

1. C’est à la page 215 du tome II que, dans l’édition de 1755 du Telliamed, se trouve la note que rapporte et blâme Voltaire. (B.)

2. Voici la lettre qu’un ingénieur en chef, qui a commandé longtemps en Canada, me fait l’honneur de m’écrire, du 1er décembre 17G8 :

« J’ai vu au Canada trente-deux nations différentes rassemblées à la fois pendant deux campagnes de suite dans notre armée, et je les ai vues avec des yeux assez curieux pour vous assurer qu’ils sont imberbes. Leurs femmes le sont aussi, et c’est un fait sur lequel vous pouvez également compter. Enfin, monsieur, non- seulement les Américains n’ont point de poil au menton, mais ils n’en ont dans aucune partie du corps. Ils en ont l’obligation à la nature, et non à la prétendue herbe dont le savant auteur de la rue Saint-Jacques prétend qu’ils se frottent. » (Note de Voltaire.)

— M. Carver, homme très-instruit, qui a fait un voyage dans l’Amérique septentrionale en 17G7, et qui a passé un hiver chez les sauvages, a imprimé qu’ils n’étaient imberbes que parce qu’ils s’arrachaient le poil. (K.)