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16t> CHAPITRE XXIII.

En 17531, m^ chimiste allemand, d'une petite province voisine de l'Alsace, crut, avec apparence de raison, avoir trouvé le secret de faire aisément du salpêtre, avec lequel on composerait la pou- dre à canon à vingt fois meilleur marché, et beaucoup plus promp- tement. Il lit en effet de cette poudre ; il en donna au prince, son souverain, qui en fit usage à la chasse. Elle fut jugée plus fine et plus agissante que toute autre. Le prince, dans un voyage à Versailles, donna de la même poudre au roi, qui l'éprouva sou- vent, et en fut toujours également satisfait. Le chimiste était si sûr de son secret qu'il ne voulut pas le donner à moins de dix- sept cent mille francs payés comptant, et le quart du profit pen- dant vingt années. Le marché fut signé ; le chef de la compagnie des poudres, depuis garde du trésor royal, vint en Alsace, de la part du roi, accompagné d'un des plus savants chimistes de France. L'Allemand opéra devant eux auprès de Colmar, et il opéra à ses propres dépens : c'était une nouvelle preuve de sa bonne foi. Je ne vis point les travaux ; mais le garde du trésor royal étant venu chez moi avec son chimiste, je lui dis que, s'il ne payait les dix-sept cent mille livres qu'après avoir fait du sal- pêtre, il garderait toujours son argent. Le chimiste m'assura que le salpêtre se ferait. Je lui répétai que je ne le croyais pas. Il me demanda pourquoi. « C'est que les hommes ne font rien, lui dis-je. Ils unissent et ils désunissent; mais il n'appartient qu'à la nature de faire. »

L'Allemand travailla trois mois entiers, au hout desquels il avoua son impuissance, a Je ne peux changer la terre en salpêtre, dit-il ; je m'en retourne chez moi changer du cuivre en or, » Il partit, et fit de l'or comme il avait fait du salpêtre.

Quelle fausse expérience avait trompé ce pauvre Allemand, et le duc son maître, et le garde du trésor royal, et le chimiste de Paris, et le roi? La voici :

Le transmutateur ahemaud avait vu un morceau de terre imprégnée de salpêtre, et il en avait tiré d'excellent, avec lequel il avait composé la meilleure poudre à tirer; mais il ne s'aperçut pas que ce petit terrain était mêlé de débris d'anciennes caves, d'anciennes écuries, et des restes du mortier des murs. Il ne considéra que la terre, et il crut qu'il suffisait de cuire une terre pareille pour faire le salpêtre le meilleur-.

1. Ce dut être en 1754; voyez la lettre au prince héréditaire de Hesse-Cassel, du li mai 1754.

'2. Le salpêtre est un sel neutre résultant de la combinaison de l'acide nitreux avec l'alcali fixe. Dans les pays septentrionaux on trouve peu de terres qui four-

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