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L'ÉPÎTRE

Céphas, qui signifie Pierre, avait fait mourir de mort subite pour avoir gardé un écu, premier et détestable exemple des rapines ecclésiastiques.

Mais ils n’auraient pu parvenir à tirer ainsi l’argent de leurs néophytes s’ils n’avaient prêché la doctrine des philosophes cyniques, qui était l’esprit de désappropriation. Cela ne suffisait pas encore pour établir un troupeau nombreux ; il y avait longtemps que la fin du monde était annoncée : vous la trouverez dans Épicure ; dans Lucrèce, son plus illustre disciple ; Ovide, du temps d’Auguste, avait dit :

Esse quoque in fatis reminiscitur, affore tempus,
Quo mare, quo tellus, correptaque regia cœli
Ardeat, et mundi moles operosa laboret.

(Métam., I, 256.)

Selon les autres, un concours fortuit d’atomes avait formé le monde, un autre concours fortuit devait le démolir.

Quod superest, nunc me huc rationis detulit ordo,
Ut mihi, mortali consistere corpore mundum
Nativumque simul, ratio roddenda sit, esse.

(Lucr., v. 65.)

Cette opinion venait originairement des brachmanes de l’Inde ; plusieurs Juifs l’avaient embrassée du temps d’Hérode ; elle est formellement dans l’Évangile de Luc, comme vous l’avez vu[1] ; elle est dans les Épîtres de Paul ; elle est dans tous ceux qu’on appelle Pères de l’Église. Le monde allait donc être détruit ; les chrétiens annonçaient une nouvelle Jérusalem, qui paraissait dans les airs pendant la nuit[2]. On ne parlait chez les Juifs que d’un nouveau royaume des cieux : c’était le système de Jean-Baptiste, qui avait remis en vogue, dans le Jourdain, l’ancien baptême des Indiens dans le Gange, baptême reçu chez les Égyptiens, baptême adopté par les Juifs. Ce nouveau royaume des cieux où les seuls pauvres devaient aller, et dont les riches étaient exclus, fut prêché par Jésus et ses adhérents ; on menaçait de l’enfer éternel ceux qui ne croiraient pas au nouveau royaume des cieux : cet enfer, inventé par le premier Zoroastre, fut ensuite un point principal de la théologie égyptienne ; c’est d’elle que vinrent la barque à

  1. Tome XI, page 283 ; c’est au chapitre xxi, versets 25-31, que saint Luc parle de la fin du monde.
  2. Voyez l’Apocalypse, attribué à Jean [xxi, 2] ; voyez aussi Justin et Tertullien. (Note de Voltaire.)