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L’ÉPÎTRE

ayant appris que le nouveau-né était roi des Juifs, fit égorger quatorze mille enfants nouveau-nés des environs, afin que ce roi fût compris dans leur nombre[1]. Cependant un de nos écrivains inspirés de Dieu dit[2] que l’enfant Dieu et roi s’enfuit en Égypte ; et un autre écrivain, non moins inspiré de Dieu, dit que l’enfant resta à Bethléem[3]. Un des mêmes écrivains sacrés et infaillibles lui fait une généalogie royale ; un autre écrivain sacré lui compose une généalogie royale entièrement contraire, Jésus prêche des paysans ; Jésus garçon de la noce change l’eau en vin pour des paysans déjà ivres[4]. Jésus est emporté par le diable sur une montagne[5]. Jésus chasse les diables, et les envoie dans le corps de deux mille cochons[6], dans la Galilée, où il n’y eut jamais de cochons. Jésus dit des injures atroces aux magistrats[7]. Le préteur Pontius le fait pendre. Il manifeste sa divinité sitôt qu’il est pendu ; la terre tremble[8], tous les morts sortent de leurs tombeaux, et se promènent dans la ville, aux yeux de Pontius. Il se fait une éclipse centrale du soleil[9] en plein midi, dans la pleine lune, quoique la chose soit impossible. Jésus ressuscite secrètement, monte au ciel, et envoie publiquement un autre Dieu, qui tombe en plusieurs langues de feu[10] sur les têtes de ses disciples. Que ces mêmes langues tombent sur vos têtes, pères conscripts, faites-vous chrétiens.

Si le moindre huissier du sénat avait daigné répondre à ce discours, il leur aurait dit : Vous êtes des fourbes insensés qui méritez d’être renfermés dans l’hôpital des fous. Vous en avez menti quand vous dites que votre Dieu naquit en l’an de Rome 752, sous le gouvernement de Cirénius, proconsul de Syrie ; Cirénius ne gouverna la Syrie que plus de dix ans après ; nos registres en font foi : c’était Quintilius Varus qui était alors proconsul de Syrie.

Vous en avez menti quand vous dites qu’Auguste ordonna le dénombrement de l’univers. Vous êtes des ignorants qui ne savez pas qu’Auguste n’était pas le maître de la dixième partie de l’univers. Si vous entendez par l’univers l’empire romain, sachez que ni Auguste ni personne n’a jamais entrepris un tel dénombrement. Sachez qu’il n’y eut qu’un seul cens des citoyens de Rome et de son territoire sous Auguste, et que ce cens se monta à

  1. Matthieu, ch. ii, 16. (Note de Voltaire.)
  2. Matth., ch. ii, v. 14. (Id.)
  3. Luc, ch. 11, v. 39. (Id.)
  4. Jean, ch. ii, v. 10. (Id.)
  5. Matth., iv, 5; Luc, iv, 5.
  6. Matth., viii, 32 ; Marc, v, 13.
  7. Matth., xxiii.
  8. Matth., xxvii, 51, 52, 53.
  9. Marc, xv, 33.
  10. Actes, ii, 3.