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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


Ces anciens brames étaient sans doute d’aussi mauvais métaphysiciens, d’aussi ridicules théologiens que les Chaldéens et les Perses, et toutes les nations qui sont à l’occident de la Chine. Mais quelle sublimité dans la morale ! Selon eux la vie n’était qu’une mort de quelques années, après laquelle on vivrait avec la Divinité. Ils ne se bornaient pas à être justes envers les autres, mais ils étaient rigoureux envers eux-mêmes ; le silence, l’abstinence, la contemplation, le renoncement à tous les plaisirs, étaient leurs principaux devoirs. Aussi tous les sages des autres nations allaient chez eux apprendre ce qu’on appelait la sagesse.


XLI. — De Confucius.

Les Chinois n’eurent aucune superstition, aucun charlatanisme à se reprocher comme les autres peuples. Le gouvernement chinois montrait aux hommes, il y a fort au delà de quatre mille ans, et leur montre encore qu’on peut les régir sans les tromper ; que ce n’est pas par le mensonge qu’on sert le Dieu de vérité ; que la superstition est non-seulement inutile, mais nuisible à la religion. Jamais l’adoration de Dieu ne fut si pure et si sainte qu’à la Chine (à la révélation près). Je ne parle pas des sectes du peuple, je parle de la religion du prince, de celle de tous les tribunaux et de tout ce qui n’est pas populace. Quelle est la religion de tous les honnêtes gens à la Chine, depuis tant de siècles ? la voici : Adorez le ciel, et soyez juste. Aucun empereur n’en a eu d’autre.

On place souvent le grand Confutzée, que nous nommons Confucius[1], parmi les anciens législateurs, parmi les fondateurs de religions : c’est une grande inadvertance. Confutzée est très-moderne ; il ne vivait que six cent cinquante ans avant notre ère. Jamais il n’institua aucun culte, aucun rite ; jamais il ne se dit ni inspiré ni prophète ; il ne fit que rassembler en un corps les anciennes lois de la morale.

Il invite les hommes à pardonner les injures et à ne se souvenir que des bienfaits ;

À veiller sans cesse sur soi-même, à corriger aujourd’hui les fautes d’hier ;

À réprimer ses passions, et à cultiver l’amitié ; à donner sans faste et à ne recevoir que l’extrême nécessaire sans bassesse.

Il ne dit point qu’il ne faut pas faire à autrui ce que nous ne

  1. Voyez tome XI, page 176 ; et XVIII, 150.