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LE PHILOSOPHE IGNORANT.




XXXVII. — De Hobbes.

Profond et bizarre philosophe, bon citoyen, esprit hardi, ennemi de Descartes, toi qui t’es trompé comme lui, toi dont les erreurs en physique sont grandes, et pardonnables parce que tu étais venu avant Newton, toi qui as dit des vérités qui ne compensent pas tes erreurs, toi qui le premier fis voir quelle est la chimère des idées innées, toi qui fus le précurseur de Locke en plusieurs choses, mais qui le fus aussi de Spinosa, c’est en vain que tu étonnes tes lecteurs en réussissant presque à leur prouver qu’il n’y a aucunes lois dans le monde que des lois de convention ; qu’il n’y a de juste et d’injuste que ce qu’on est convenu d’appeler tel dans un pays. Si tu t’étais trouvé seul avec Cromwell dans une île déserte, et que Cromwell eût voulu te tuer pour avoir pris le parti de ton roi dans l’île d’Angleterre, cet attentat ne t’aurait-il pas paru aussi injuste dans ta nouvelle île qu’il te l’aurait paru dans ta patrie ?

Tu dis que, dans la loi de nature, « tous ayant droit à tout, chacun a droit sur la vie de son semblable ». Ne confonds-tu pas la puissance avec le droit ? Penses-tu qu’en effet le pouvoir donne le droit, et qu’un fils robuste n’ait rien à se reprocher pour avoir assassiné son père languissant et décrépit ? Quiconque étudie la morale doit commencer à réfuter ton livre dans son cœur, mais ton propre cœur te réfutait encore davantage : car tu fus vertueux ainsi que Spinosa, et il ne te manqua, comme à lui, que d’enseigner les vrais principes de la vertu, que tu pratiquais et que tu recommandais aux autres.


XXXVIII. — Morale universelle.

La morale me paraît tellement universelle, tellement calculée par l’Être universel qui nous a formés, tellement destinée à servir de contre-poids à nos passions funestes, et à soulager les peines inévitables de cette courte vie, que, depuis Zoroastre jusqu’au lord Shaftesbury, je vois tous les philosophes enseigner la même morale, quoiqu’ils aient tous des idées différentes sur les principes des choses. Nous avons vu que Hobbes, Spinosa, et Bayle lui-même, qui ont ou nié les premiers principes, ou qui en ont douté, ont cependant recommandé fortement la justice et toutes les vertus.

Chaque nation eut des rites religieux particuliers, et très-souvent d’absurdes et de révoltantes opinions en métaphysique, en