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LE PHILOSOPHE IGNORANT.


bien que ce sont là les vrais principes des choses, et que les natures plastiques valent bien l’harmonie préétablie et les monades, qui sont les miroirs concentrés de l’univers. » Je lui avouai que l’un valait bien l’autre.


XXIX. — De Locke.

Après tant de courses malheureuses, fatigué, harassé, honteux d’avoir cherché tant de vérités, et d’avoir trouvé tant de chimères, je suis revenu à Locke, comme l’enfant prodigue qui retourne chez son père ; je me suis rejeté entre les bras d’un homme modeste, qui ne feint jamais de savoir ce qu’il ne sait pas ; qui, à la vérité, ne possède pas des richesses immenses, mais dont les fonds sont bien assurés, et qui jouit du bien le plus solide sans aucune ostentation. Il me confirme dans l’opinion que j’ai toujours eue, que rien n’entre dans notre entendement que par nos sens ;

Qu’il n’y a point de notions innées ;

Que nous ne pouvons avoir l’idée ni d’un espace infini, ni d’un nombre infini ;

Que je ne pense pas toujours, et que par conséquent la pensée n’est pas l’essence, mais l’action de mon entendement[1] ;

Que je suis libre quand je peux faire ce que je veux ;

Que cette liberté ne peut consister dans ma volonté, puisque, lorsque je demeure volontairement dans ma chambre, dont la porte est fermée, et dont je n’ai pas la clef, je n’ai pas la liberté d’en sortir ; puisque je souffre quand je veux ne pas souffrir ; puisque très-souvent je ne peux rappeler mes idées quand je veux les rappeler ;

Qu’il est donc absurde au fond de dire : la volonté est libre, puisqu’il est absurde de dire : je veux vouloir cette chose ; car c’est précisément comme si on disait : je désire de la désirer, je crains de la craindre ; qu’enfin la volonté n’est pas plus libre qu’elle n’est bleue ou carrée (voyez la question XIII) ;

Que je ne puis vouloir qu’en conséquence des idées reçues dans mon cerveau ; que je suis nécessité à me déterminer en

  1. Il n’est pas prouvé que nous ne sentions rien dans le sommeil le plus profond ; il est même très-vraisemblable que nous avons alors des sensations, trop faibles, à la vérité, pour exciter l’attention ou rester dans la mémoire, trop mal ordonnées pour former un système suivi, ou qui puisse se raccorder à celui des idées que nous avons dans l’état de veille. Autrement il faudrait dire que l’attention nous fait sentir ou ne pas sentir les impressions que nous recevons des objets, ce qui serait peut-être encore plus difficile à concevoir. (K.)