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DE BOULAINVILLIERS.
L’ABBÉ.

Il me faudrait bien du temps pour vous expliquer tous nos dogmes.

LE COMTE.

C’est déjà une grande présomption contre vous. Il vous faut de gros livres ; et à moi, il ne faut que quatre mots : Sers Dieu, sois juste.

L’ABBÉ.

Jamais notre religion n’a dit le contraire.

LE COMTE.

Je voudrais ne point trouver dans vos livres des idées contraires. Ces paroles cruelles : « Contrains-les d’entrer[1], » dont on abuse avec tant de barbarie ; et celles-ci : « Je suis venu apporter le glaive et non la paix[2] ; » et celles-là encore : « Que celui qui n’écoute pas l’Église soit regardé comme un païen, ou comme un receveur des deniers publics[3] ; » et cent maximes pareilles, effrayent le sens commun et l’humanité.

Y a-t-il rien de plus dur et de plus odieux que cet autre discours[4] : « Je leur parle en paraboles, afin qu’en voyant ils ne voient point, et qu’en écoutant ils n’entendent point » ? Est-ce ainsi que s’expliquent la sagesse et la bonté éternelle ?

Le Dieu de tout l’univers, qui se fait homme pour éclairer et pour favoriser tous les hommes, a-t-il pu dire[5] : « Je n’ai été envoyé qu’au troupeau d’Israël, » c’est-à-dire à un petit pays de trente lieues tout au plus ?

Est-il possible que ce Dieu, à qui l’on fait payer la capitation, ait dit que ses disciples ne devaient rien payer ; que les rois[6] « ne reçoivent des impôts que des étrangers, et que les enfants en sont exempts » ?

L’ABBÉ.

Ces discours, qui scandalisent, sont expliqués par des passages tout différents.

LE COMTE.

Juste ciel ? qu’est-ce qu’un Dieu qui a besoin de commentaire, et à qui l’on fait dire perpétuellement le pour et le contre ? Qu’est-ce qu’un législateur qui n’a rien écrit ? Qu’est-ce que quatre livres

  1. Luc, chap. XIV, v. 23. (Note de Voltaire.)
  2. Matthieu, chap. x, v. 34. (id.)
  3. Ibid., chap. xviii, v. 17. (Id.)
  4. Ibid., chap. xiii, v. 13. (Id.)
  5. Ibid., chap. xv, v. 24. (Id.)
  6. Ibid., chap. xvii, v. 24, 25, 26. (Id.)