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parce que, disait-il, son hôtesse ayant voulu faire brûler un fagot, et n’en pouvant venir à bout, avait dit que ce fagot était excommunié de la gueule du pape.

L’aventure qu’on lui suppose, à Lyon, est aussi fausse et aussi peu vraisemblable : on prétend que, n’ayant ni de quoi payer son auberge, ni de quoi faire le voyage de Paris, il fit écrire par le fils de l’hôtesse ces étiquettes sur des petits sachets : « Poison pour faire mourir le roi, poison pour faire mourir la reine, etc. » Il usa, dit-on, de ce stratagème pour être conduit et nourri jusqu’à Paris, sans qu’il lui en coûtât rien, et pour faire rire le roi. On ajoute que c’était en 1536, dans le temps même que le roi et toute la France pleuraient le dauphin François, qu’on avait cru empoisonné, et lorsqu’on venait d’écarteler Montecuculli, soupçonné de cet empoisonnement. Les auteurs de cette plate historiette n’ont pas fait réflexion que, sur un indice aussi terrible, on aurait jeté Rabelais dans un cachot, qu’il aurait été chargé de fers, qu’il aurait subi probablement la question ordinaire et extraordinaire, et que, dans des circonstances aussi funestes, et dans une accusation aussi grave, une mauvaise plaisanterie n’aurait pas servi à sa justification. Presque toutes les Vies des hommes célèbres ont été défigurées par des contes qui ne méritent pas plus de croyance.

Son livre, à la vérité, est un ramas des plus impertinentes et des plus grossières ordures[1] qu’un moine ivre puisse vomir ; mais aussi il faut avouer que c’est une satire sanglante du pape, de l’Église, et de tous les événements de son temps. Il voulut se mettre à couvert sous le masque de la folie ; il le fait assez entendre lui-même dans son prologue : « Posé le cas, dit-il, qu’au sens literal vous trouvez matières assez joyeuses, et bien correspondantes au nom ; toutesfoys pas demourer là ne fault, comme au chant des syrènes : ains à plus hault sens interpréter ce que par adventure cuidiez dit en guayeté de cueur… Veistes-vous oncques chien rencontrant quelque os médullaire ? C’est, comme dict Platon, 'lib. II, de Rep., la beste du monde plus philosophe. Si veu l’avez, vous avez peu noter de quelle dévotion il le guette, de quel soing il le garde, de quelle ferveur il le tient, de quelle prudence il l’entamme, de quelle affection il le brise, et de quelle diligence il le sugce. Qui l’induict à ce faire ? quel est l’espoir de son estude ? quel bien prétend-il ? rien plus qu’ung peu de moûelle. »

Mais qu’arriva-t-il ? Très-peu de lecteurs ressemblèrent au

  1. Voyez la note, tome XXII, page 174.