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466 ESSAI SUR LES DISSENSIONS

On ne considérait pas que le vaste empire de Russie, qui contient onze cent cinquante mille lieues carrées, et qui est plus grand que ne fut jamais l'empire romain, n'a pas besoin de terrains nouveaux, mais d'hommes, de lois, d'arts, et d'industrie.

Catherine II lui donnait déjà des hommes en établissant chez elle trente mille familles qui venaient cultiver les arts nécessaires. Elle lui donnait des lois en formant un code universel pour ses "provinces qui touchent à la Suède et à la Chine. La première de ces lois était la tolérance ^

On voyait avec admiration cet empire immense se peupler, s'enrichir, en ouvrant son sein à des citoyens nouveaux, tandis que de petits États se privaient de leurs sujets par l'aveuglement d'un faux zèle ; tandis que, sans citer d'autres provinces, les seuls émigrants de Saltzhourg avaient laissé leur patrie déserte.

Le système de la tolérance a fait des progrès rapides dans le Nord, depuis le Rhin jusqu'à la mer Glaciale, parce que la raison y a été écoutée, parce qu'il est permis de penser et de lire. On a connu dans cette vaste partie du monde que toutes les manières de servir Dieu peuvent s'accorder avec le service de l'État. C'était la maxime de l'empire romain dès le temps des Scipions jusqu'à celui des Trajan. Aucun potentat n'a plus suivi cette maxime que Catjierine II. Non-seulement elle établit la tolérance chez elle, mais elle a recherché la gloire de la faire renaître chez ses voi- sins. Cette gloire est unique. Les fastes du monde entier n'ont point d'exemple d'une armée envoyée chez des peuples considé- rables pour leur dire : Vivez justes et paisibles.

Si l'impératrice avait voulu fortifier son empire des dépouilles de la Pologne, il ne tenait qu'à elle. Il suffisait de fomenter des troubles au lieu de les apaiser. Elle n'avait qu'à laisser opprimer les Grecs, les évangéliques et les réformés : ils seraient venus en foule dans ses États. C'est tout ce que la Pologne avait à craindre. Le climat ne diffère pas beaucoup, et les beaux-arts, l'esprit, les plaisirs, les spectacles, les fêtes, qui rendaient la cour de Cathe- rine II la plus brillante de l'Europe, invitaient tous les étrangers. Elle formait un empire et un siècle nouveau, et l'on eût été chez elle de plus loin pour l'admirer.

2 Tandis que l'impératrice de Russie faisait naître chez elle

1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Catherine, du 28 juin — 9 juil- let 1766.

2. Dans la première édition de V Essai, au lieu des quatre alinéas qui le termi- nent aujourd'hui on lisait les quatre que voici :

« Tandis qu'elle parcourait les frontières de ses États, et qu'elle passait d'Eu-

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