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CHAPITRE XXI.

conjecture soit dans l’ordre commun des choses de ce monde, nos livres sacrés donnent une tout autre origine aux Juifs, et les font descendre des Chaldéens par Abraham, Tharé, Nachor, Sarug, Rehu, et Phaleg.

Il est bien vrai que l’Exode nous apprend que les Israélites, avant d’avoir habité ce désert, avaient emporté les robes et les ustensiles des Égyptiens, et qu’ils se nourrirent de cailles dans le désert ; mais cette légère ressemblance avec le rapport de Diodore de Sicile, tiré des livres d’Égypte, ne nous mettra jamais en droit d’assurer que les Juifs descendent d’une horde de voleurs à qui on avait coupé le nez. Plusieurs auteurs ont en vain tâché d’appuyer cette profane conjecture sur le psaume lxxx, où il est dit que « la fête des trompettes a été instituée pour faire souvenir le peuple saint du temps où il sortit de l’Égypte, et où il entendit alors parler une langue qui lui était inconnue ».

Ces Juifs, dit-on, étaient donc des Égyptiens qui furent étonnés d’entendre parler au delà de la mer Rouge un langage qui n’était pas celui d’Égypte ; et de là on conclut qu’il n’est pas hors de vraisemblance que les Juifs soient les descendants de ces brigands que le roi Actisan avait chassés.

Un tel soupçon n’est pas admissible. Premièrement, parce que, s’il est dit dans l’Exode[1] que les Juifs enlevèrent les ustensiles des Égyptiens avant d’aller dans le désert, il n’est point dit qu’ils y aient été relégués pour avoir volé. Secondement, soit qu’ils fussent des voleurs ou non, soit qu’ils fussent Égyptiens ou Juifs, ils ne pouvaient guère entendre la langue des petites hordes d’Arabes bédouins qui erraient dans l’Arabie Déserte au nord de la mer Rouge ; et on ne peut tirer aucune induction du psaume lxxx, ni en faveur des Juifs, ni contre eux. Toutes les conjectures d’Hérodote, de Diodore de Sicile, de Manéthon, d’Ératosthène, sur les Juifs, doivent céder sans contredit aux vérités qui sont consacrées dans les livres saints. Si ces vérités, qui sont d’un ordre supérieur, ont de grandes difficultés, si elles atterrent nos esprits, c’est précisément parce qu’elles sont d’un ordre supérieur. Moins nous pouvons y atteindre, plus nous devons les respecter.

Quelques écrivains ont soupçonné que ces voleurs chassés sont les mêmes que les Juifs qui errèrent dans le désert, parce que le lieu où ils restèrent quelque temps s’appela depuis Rhinocolure, nez coupé, et qu’il n’est pas fort éloigné du mont Carmel,

  1. xii, 35, 36.