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LETTRE DE VOLTAIRE


lettre du 24 de juin 1765[1] : Être excommunié de la façon de M. de V. m’amusera fort aussi. Et, dans sa lettre du 23 de mars, il dit : M. de V. doit avoir écrit à Paris qu’il se fait fort de faire chasser Rousseau de sa nouvelle patrie[2].

Le bon de l’affaire est qu’il a réussi à faire croire, pendant quelque temps, cette folie à quelques personnes ; et la vérité est que, si, au lieu de la prison qu’il demandait à Messieurs de Berne, il avait voulu se réfugier dans la maison de campagne que je lui avais offerte, je lui aurais donné alors cet asile, où j’aurais eu soin qu’il eût de bons bouillons avec des potions rafraîchissantes, bien persuadé qu’un homme dans son état mérite beaucoup plus de compassion que de colère.

Il est vrai qu’à la sagesse toujours conséquente de sa conduite et de ses écrits il a joint des traits qui ne sont pas d’une bonne âme. J’ignore si vous savez qu’il a écrit des Lettres de la montagne. Il se rend, dans la cinquième lettre, formellement délateur contre moi : cela n’est pas bien. Un homme qui a communié sous les deux espèces, un sage à qui l’on doit élever des statues, semble dégrader un peu son caractère par une telle manœuvre ; il hasarde son salut et sa réputation.

Aussi la première chose qu’ont faite MM. les médiateurs de France, de Zurich, et de Berne, a été de déclarer solennellement les Lettres de la montagne un libelle calomnieux. Il n’y a plus moyen que j’offre une maison à Jean-Jacques, depuis qu’il a été affiché calomniateur au coin des rues.

Mais, en faisant le métier de délateur et d’homme un peu brouillé avec la vérité, il faut avouer qu’il a toujours conservé son caractère de modestie.

Il me fit l’honneur de m’écrire[3] avant que la médiation arrivât à Genève, ces propres mots :

« Monsieur, si vous avez dit que je n’ai pas été secrétaire d’ambassade à Venise, vous avez menti ; et si je n’ai pas été secrétaire d’ambassade, et si je n’en ai pas eu les honneurs, c’est moi qui ai menti. »

J’ignorais que M. Jean-Jacques eût été secrétaire d’ambassade ;

  1. On n’a aucune lettre de J.-J. Rousseau à la date du 24 juin 1765 ; c’est dans la lettre à Meuron, du 23 mars, que se trouve la phrase rapportée par Voltaire. (B.)
  2. Ce n’est pas J.-J. Rousseau qui dit cela ; c’est du Peyrou, qui, en rapportant la lettre du 23 mars, ajoute que Voltaire doit avoir écrit, etc. Voyez la Lettre à M. ***, relative à M. J.-J. Rousseau. Goa, 1765, in-8°.
  3. Le 31 mai 1765.