Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
CHAPITRE XV.

son patron, qui pense comme lui, ne fût pas assez puissant pour lui faire avoir un évêché. Quel parti a-t-il pris alors ? celui de dire des injures à tous les philosophes :

Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ?

(Juven, sat. II, v. 24.)

« Il a élevé l’étendard du fanatisme d’une main, tandis que de l’autre il déployait celui de l’irréligion. Par là il a ébloui la cour, et en enseignant réellement la mortalité de l’âme, et feignant ensuite de l’admettre, il aura probablement l’évêché qu’il désire. Chez vous, tout chemin mène à Rome ; et chez nous, tout chemin mène à l’évêché. »

Voilà ce que M. S.... écrivait en 1757 ; et tout ce qu’il a prédit est arrivé. Warburton jouit d’un bon évêché ; il insulte les philosophes. En vain l’évêque Lowth a pulvérisé son livre, il n’en est que plus audacieux, il cherche même à persécuter ; et, s’il pouvait, il ressemblerait au Peachum in the beggar’s opera, qui se donne le plaisir de faire pendre ses complices. La plupart des hypocrites ont le regard doux du chat, et cachent leurs griffes ; celui-ci découvre les siennes en levant une tête hardie. Il a été ouvertement délateur, et il voudrait être persécuteur.

Les philosophes d’Angleterre lui reprochent l’excès de la mauvaise foi et celui de l’orgueil. L’Église anglicane le regarde comme un homme dangereux ; les gens de lettres, comme un écrivain sans goût et sans méthode, qui ne sait qu’entasser citations sur citations ; les politiques, comme un brouillon qui ferait revivre, s’il pouvait, la chambre étoilée ; mais il se moque de tout cela.

Warburton me répondra peut-être qu’il n’a fait que suivre le sentiment de mon oncle, et de plusieurs autres savants qui ont tous avoué qu’il n’est pas parlé expressément de l’immortalité de l’âme dans la loi judaïque. Cela est vrai ; il n’y a que des ignorants qui en doutent, et des gens de mauvaise foi qui affectent d’en douter ; mais le pieux Bazin disait que cette doctrine, sans laquelle il n’est point de religion, n’étant pas expliquée dans l’Ancien Testament, y doit être sous-entendue ; qu’elle y est virtuellement ; que si on ne l’y trouve pas totidem verbis, elle y est totidem litteris, et qu’enfin, si elle n’y est point du tout, ce n’est pas à un évêque à le dire.

Mais mon oncle a toujours soutenu que Dieu est bon ; qu’il a donné l’intelligence à ceux qu’il a favorisés ; qu’il a suppléé à notre ignorance. Mon oncle n’a point dit d’injures aux savants ;