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APOLOGIE DES DAMES DE BABYLONE.

ne permettait pas aux femmes de manger avec des étrangers ; leur aurait-elle permis de coucher avec eux ?

L’ennemi de mon oncle, qui me paraît avoir ses raisons pour que cette belle coutume s’établisse dans les grandes villes, appelle le prophète Baruch au secours d’Hérodote, et il cite le sixième chapitre de la prophétie de ce sublime Baruch ; mais il ne sait peut-être pas que ce sixième chapitre est précisément celui de tout le livre qui est le plus évidemment supposé. C’est une lettre prétendue de Jérémie aux pauvres Juifs qu’on menait enchaînés à Babylone ; saint Jérôme en parle avec le dernier mépris. Pour moi, je ne méprise rien de ce qui est inséré dans les livres juifs. Je sais tout le respect qu’on doit à cet admirable peuple, qui se convertira un jour, et qui sera le maître de toute la terre.

Voici ce qui est dit dans cette lettre supposée : « On voit dans Babylone des femmes qui ont des ceintures de cordelettes (ou de rubans) assises dans les rues, et brûlant des noyaux d’olives. Les passants les choisissent, et celle qui a eu la préférence se moque de sa compagne qui a été négligée, et dont on n’a pas délié la ceinture. »

Je veux bien avouer qu’une mode à peu près semblable s’est établie à Madrid et dans le quartier du Palais-Royal à Paris. Elle est fort en vogue dans les rues de Londres ; et les musicos d’Amsterdam ont eu une grande réputation.

L’histoire générale des b...... peut être fort curieuse. Les savants n’ont encore traité ce grand sujet que par parties détachées. Les b...... de Venise et de Rome commencent un peu à dégénérer, parce que tous les beaux-arts tombent en décadence. C’était sans doute la plus belle institution de l’esprit humain avant le voyage de Christophoro Colombo aux îles Antilles. La vérole, que la Providence avait reléguée dans ces îles, a inondé depuis toute la chrétienté ; et ces beaux b...... consacrés à la déesse Astarté, ou Dercéto, ou Milita, ou Aphrodise, ou Vénus, ont perdu aujourd’hui toute leur splendeur. Je crois bien que l’ennemi de mon oncle les fréquente encore comme des restes des mœurs antiques ; mais enfin ce n’est pas une raison pour qu’il affirme que la superbe Babylone n’était qu’un vaste b....., et que la loi du pays ordonnait aux femmes et aux filles des satrapes, voire même aux filles du roi, d’attendre les passants dans les rues. C’est bien pis que si on disait que les femmes et les filles des bourgmestres d’Amsterdam sont obligées, par la religion calviniste, de se donner, dans les musicos, aux matelots hollandais qui reviennent des Grandes-Indes.