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SUR L'ATHÉISME. 393

Ces principes sont nécessaires à la conservation de l'espèce humaine. Otez aux hommes l'opinion d'un Dieu vengeur et rému- nérateur, Sylla et Marins se baignent alors avec délices dans le sang de leurs concitoyens; Auguste, Antoine et Lépide, surpassent les fureurs de Sylla ; Néron ordonne de sang-froid le meurtre de sa mère. Il est certain que la doctrine d'un Dieu vengeur était éteinte alors chez les Romains; l'athéisme dominait, et il ne serait pas difficile de prouver par l'histoire que l'athéisme peut causer quelquefois autant de mal que les superstitions les plus barbares.

Pensez-vous en efi'et qu'Alexandre VI reconnût un Dieu, quand, pour agrandir le fils de son inceste, il employait tour à tour là trahison, la force ouverte, le stylet, la corde, le poison ; et qu'in- sultant encore à la superstitieuse faiblesse de ceux qu'il assassi- nait, il leur donnait une absolution et des indulgences au miheu des convulsions de la mort? Certes, il insultait la Divinité, dont il se moquait, en même temps qu'il exerçait sur les hommes ces épouvantables barbaries. Avouons tous, quand nous lisons l'his- toire de ce monstre et de son abominable fils, que nous souhai- tons qu'ils soient châtiés. L'idée d'un Dieu vengeur est donc nécessaire.

Il se peut, et il arrive trop souvent que la persuasion de la justice divine n'est pas un frein à l'emportement d'une passion. On est alors dans l'ivresse ; les remords ne viennent que quand la raison a repris ses droits ; mais enfin ils tourmentent le coupable. L'athée peut sentir, au lieu de remords, cette horreur secrète et sombre qui accompagne les grands crimes. La situation de son âme est importune et cruelle ; un homme souillé de sang n'est plus sensible aux douceurs de la société ; son âme, devenue alroce, est incapable de toutes les consolations de la vie ; il rugit en furieux, mais il ne se repent pas. Il ne craint point qu'on lui demande compte des proies qu'il a déchirées ; il sera toujours méchant, il s'endurcira dans ses férocités. L'homme, au contraire, qui croit en Dieu rentrera en lui-même. Le premier est uiî monstre pour toute sa vie, le second n'aura été barbare qu'un moment. Pourquoi? C'est que l'un a un frein, l'autre n'a rien qui l'arrête.

Nous ne lisons point que l'archevêque Troll, qui fit égorger sous ses yeuxi tous les magistrats de Stockholm, ait jamais daigné seulement feindre d'expier son crime par la moindre pé-

1. Voyez tome XII, page 228.

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