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SUR LES PANÉGYRIQUES.

et de la prêtrise, et livré au bras séculier. Je lui fis grâce, et je me contentai de le réduire à la condition de moine. »

Telles sont, monsieur, ses propres paroles. Il en résulte qu’elle sait soutenir l’Église et la contenir ; qu’elle respecte l’humanité autant que la religion ; qu’elle protège le laboureur autant que le prêtre ; que tous les ordres de l’État doivent la bénir.

J’aurai encore l’indiscrétion de transcrire ici un passage d’une de ses lettres[1].

« La tolérance est établie chez nous ; elle fait loi de l’État, et il est défendu de persécuter. Nous avons, il est vrai, des fanatiques qui, faute de persécution, se brûlent eux-mêmes ; mais, si ceux des autres pays en faisaient autant, il n’y aurait pas grand mal : le monde n’en serait que plus tranquille, et Calas n’aurait pas été roué. »

Ne croyez pas qu’elle écrive ainsi par un enthousiasme passager et vain qu’on désavoue ensuite dans la pratique, ni même par le désir louable d’obtenir dans l’Europe les suffrages des hommes qui pensent et qui enseignent à penser. Elle pose ces principes pour base de son gouvernement. Elle a écrit de sa main, dans le conseil de législation, ces paroles, qu’il faut graver aux portes de toutes les villes :

«[2] Dans un grand empire, qui étend sa domination sur autant de peuples divers qu’il y a de différentes croyances parmi les hommes, la faute la plus nuisible serait l’intolérance. » Remarquez qu’elle n’hésite pas de mettre l’intolérance au rang des fautes, j’ai presque dit des délits. Ainsi une impératrice despotique détruit dans le fond du Nord la persécution et l’esclavage, tandis que dans le Midi…

Jugez après cela, monsieur, s’il se trouvera un honnête homme dans l’Europe qui ne sera pas prêt à signer le panégyrique que vous méditez. Non-seulement cette princesse est tolérante, mais elle veut que ses voisins le soient[3]. Voilà la première fois qu’on a déployé le pouvoir suprême pour établir la liberté de conscience. C’est la plus grande époque que je connaisse dans l’histoire moderne.

C’est à peu près ainsi que les Syracusains défendirent aux Carthaginois d’immoler des hommes.

Plût à Dieu qu’au lieu des barbares qui fondirent autrefois

  1. Du 28 novembre 1765.
  2. Lettre du 9 juillet 1766.
  3. Voyez, plus loin, l’Essai sur les dissensions des églises de Pologne.