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SUR LES PANÉGYRIQUES.

fouine qui sort d’une basse-cour en se léchant le museau teint du sang des animaux qu’elle a égorgés.

Ce contraste a d’abord jeté quelque ridicule sur les oraisons funèbres ; ensuite la multiplicité de ces déclamations a fait naître le dégoût. On les a regardées comme de vaines cérémonies, comme la partie la plus ennuyeuse d’une pompe funéraire, comme un fatigant hommage qu’on rend à la place, et non au mérite.

Qui n’a rien fait doit être oublié. L’épouse de Louis XIV n’était que la fille d’un roi puissant et la femme d’un grand homme. Son oraison funèbre est l’une des plus médiocres que Bossuet ait composées. Celles de Condé[1] et de Turenne[2] ont immortalisé leurs auteurs. Mais qu’avait fait Anne de Gonzague, comtesse palatine du Rhin, que Bossuet voulut aussi rendre immortelle[3]. Retirée dans Paris, elle eut des amants et des amis. Femme d’esprit, elle étala des sentiments hardis tant qu’elle jouit de la santé et de la beauté ; vieille et infirme, elle fut dévote. Il importe peut-être assez peu aux nations qu’Anne de Gonzague se soit convertie pour avoir vu un aveugle, une poule et un chien, en songe[4], et qu’elle soit morte entre les mains d’un directeur.

Louis XIV, longtemps vainqueur et pacificateur, plus grand dans les revers que modeste dans la prospérité, protecteur des rois malheureux, bienfaiteur des arts, législateur, méritait sans doute, malgré ses grandes fautes, que sa mémoire fût consacrée ; mais il ne fut pas si heureusement loué après sa mort que de son vivant, soit que les malheurs de la fin de son règne eussent glacé

  1. Par Bossuet.
  2. Par Fléchier.
  3. Voyez tome XVII, page 335.
  4. N. B. « Ce fut par cette vision qu’elle comprit, dit Bossuet, qu’il manque un sens aux incrédules. Trois mois entiers furent employés à repasser avec larmes ses ans écoulés dans les illusions, et à préparer sa confession. Dans l’approche du jour désiré où elle espérait de la faire, elle tomba dans une syncope qui ne lui laissait ni couleur, ni pouls, ni respiration. Revenue d’une si étrange défaillance, elle se vit replongée dans un plus grand mal ; et, après les approches de la mort, elle ressentit toutes les horreurs de l’enfer. Digne effet des sacrements de l’Église ! etc. » (Édit. de 1749, p. 315 et 316.)

    « Elle vit aussi une poule qui arrachait un de ses poussins de la gueule d’un chien, et elle entendit cette poule qui disait : Non, je ne le rendrai jamais. » (Voyez page 319 de la même édition.)

    C’est donc là ce que rapporte cet illustre Bossuet, qui s’élevait, dans le même temps, avec un acharnement si impitoyable contre les visions de l’élégant et sensible archevêque de Cambrai. Démosthéne et Sophocle ! ô Cicéron et Virgile ! qu’eussiez-vous dit si, dans votre temps, des hommes, d’ailleurs éloquents, avaient débité sérieusement de pareilles pauvretés ? (Note de Voltaire.)