Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome26.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
CHAPITRE XXXVII.


le nom seul est ridicule, s’établit peu à peu, après avoir été inconnu aux premiers siècles du christianisme. On peut se figurer quelle vénération s’attirait un prêtre, un moine, qui faisait un dieu avec quatre paroles, et non-seulement un dieu, mais autant de dieux qu’il voulait : avec quel respect voisin de l’adoration ne devait-on pas regarder celui qui s’était rendu le maître absolu de tous ces faiseurs de dieux ? Il était le souverain des prêtres, il l’était des rois ; il était dieu lui-même, et à Rome encore, quand le pape officie, on dit : Le vénérable porte le vénérable.

Cependant, au milieu de cette fange dans laquelle l’espèce humaine était plongée en Europe, il s’éleva toujours des hommes qui protestèrent contre ces nouveautés : ils savaient que, dans les premiers siècles de l’Église, on n’avait jamais prétendu changer du pain en dieu dans le souper du Seigneur ; que la cène faite par Jésus avait été un agneau cuit avec des laitues, que cela ne ressemblait nullement à la communion de la messe ; que les premiers chrétiens avaient eu les images en horreur ; que même encore sous Charlemagne, le fameux concile de Francfort les avait proscrites.

Plusieurs autres articles les révoltaient ; ils osaient même douter quelquefois que le pape, tout dieu qu’il était, pût de droit divin déposer un roi pour avoir épousé sa commère ou sa parente au septième degré. Ils rejetaient donc secrètement quelques points de la créance chrétienne, et ils en admettaient d’autres non moins absurdes : semblables aux animaux, qu’on prétendit autrefois être formés du limon du Nil, et qui avaient la vie dans une partie de leur corps, tandis que l’autre n’était encore que de la boue.

Mais quand ils voulurent parler, comment furent-ils traités ? On avait, dans l’Orient, employé dix siècles de persécutions à exterminer les manichéens, et sous la régence d’une impératrice Théodora, dévote et barbare[1], on en avait fait périr plus de cent

    escamotage de charlatan. Ce sont deux mots latins abrégés, ou plutôt estropiés, d’après ces paroles de la messe latine : hoc est corpus meum. (Note de Voltaire, 1771.)

  1. Est-il possible que cette horrible proscription, cette Saint-Barthélemy anticipée soit si peu connue ! Elle s’est perdue dans la foule. Cependant Fleury n’omet pas cette horreur dans son livre quarante-huitième, sous l’année 850 ; il en parle comme d’un événement très-ordinaire. Bayle, à l’article Pauliciens, aurait bien dû en faire quelque mention ; d’autant plus que les pauliciens échappés à ce massacre se joignirent aux musulmans, et les aidèrent à détruire ce détestable empire d’Orient, qui savait proscrire et qui ne savait pas combattre. Mais ce qui met le comble à l’atrocité chrétienne, c’est que cette furie de Théodora fut déclarée sainte, et qu’on a longtemps célébré sa fête dans l’Église grecque. (Note de Voltaire, 1771.)