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DES MARTYRS.


Cette histoire admirable est une des plus avérées. Qui pourrait en douter après le témoignage du jésuite Bollandus et du bénédictin Ruinart ?

Ces contes de vieilles me dégoûtent ; je n’en parlerai pas davantage. J’avoue qu’il y eut en effet quelques chrétiens suppliciés en divers temps, comme des séditieux qui avaient l’insolence d’être intolérants et d’insulter le gouvernement. Ils eurent la couronne du martyre, et la méritaient bien. Ce que je plains, c’est de pauvres femmes imbéciles, séduites par ces non-conformistes. Ils étaient bien coupables d’abuser de la facilité de ces faibles créatures, et d’en faire des énergumènes ; mais les juges qui en firent mourir quelques-unes étaient des barbares.

Dieu merci, il y eut peu de ces exécutions. Les païens furent bien loin d’exercer sur ces énergumènes les cruautés que nous avons depuis si longtemps déployées les uns contre les autres. Il semble que surtout les papistes aient forgé tant de martyres imaginaires dans les premiers siècles pour justifier les massacres dont leur Église s’est souillée.

Une preuve bien forte qu’il n’y eut jamais de grandes persécutions contre les premiers chrétiens, c’est qu’Alexandrie, qui était le centre, le chef-lieu de la secte, eut toujours publiquement une école du christianisme ouverte, comme le Lycée, le Portique, et l’Académie d’Athènes. Il y eut une suite de professeurs chrétiens. Pantène succéda publiquement à un Marc, qu’on a pris mal à propos pour Marc l’apôtre. Après Pantène vient Clément d’Alexandrie, dont la chaire fut ensuite occupée par Origène, qui laissa une foule de disciples. Tant qu’ils se bornèrent à ergoter, ils furent paisibles ; mais lorsqu’ils s’élevèrent contre les lois et la police publique, ils furent punis. On les réprima surtout sous l’empire de Décius ; Origène même fut mis en prison. Cyprien, évêque de Carthage, ne dissimule pas que les chrétiens s’étaient attiré cette persécution. « Chacun d’eux, dit-il dans son livre Des Tombés, court après les biens et les honneurs avec une fureur insatiable. Les évêques sont sans religion, les femmes sans pudeur ; la friponnerie règne ; on jure, on se parjure ; les animosités divisent les chrétiens ; les évêques abandonnent les chaires pour courir aux foires, et pour s’enrichir par le négoce ; enfin nous nous plaisons à nous seuls, et nous déplaisons à tout le monde. »

Il n’est pas étonnant que ces chrétiens eussent de violentes querelles avec les partisans de la religion de l’empire, que l’intérêt entrât dans ces querelles, qu’elles causassent souvent des