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CHAPITRE XXVI.


Tous les martyres d’ailleurs, que tant d’écrivains ont copiés de siècle en siècle, ressemblent tellement à la Légende dorée qu’en vérité il n’y a pas un seul de ces contes qui ne fasse pitié. Un de ces premiers contes est celui de Perpétue et de Félicité. Perpétue vit une échelle d’or qui allait jusqu’au ciel. (Jacob n’en avait vu qu’une de bois : cela marque la supériorité de la loi nouvelle.) Perpétue monte à l’échelle : elle voit dans un jardin un grand berger blanc qui trayait ses brebis, et qui lui donne une cuillerée de lait caillé. Après trois ou quatre visions pareilles, on expose Perpétue et Félicité à un ours et à une vache.

Un bénédictin français, nommé Ruinart[1], croyant répondre à notre savant compatriote Dodwell, a recueilli de prétendus actes de martyrs, qu’il appelle les Actes sincères. Ruinart commence par le martyre de Jacques, frère aîné de Jésus, rapporté dans l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, trois cent trente années après l’événement.

Ne cessons jamais d’observer que Dieu avait des frères hommes. Ce frère aîné, dit-on, était un Juif très-dévot ; il ne cessait de prier ni de sacrifier dans le temple juif, même après la descente du Saint-Esprit ; il n’était donc pas chrétien. Les Juifs l’appelaient Oblia le juste ; on le prie de monter sur la plate-forme du temple pour déclarer que Jésus était un imposteur : ces Juifs étaient donc bien sots de s’adresser au frère de Jésus. Il ne manqua pas de déclarer sur la plate-forme que son cadet était le sauveur du monde, et il fut lapidé.

Que dirons-nous de la conversation d’Ignace avec l’empereur Trajan, qui lui dit : Qui es-tu, esprit impur ? et de la bienheureuse Symphorose, qui fut dénoncée à l’empereur Adrien par ses dieux lares ? et de Polycarpe, à qui les flammes d’un bûcher n’osèrent toucher, mais qui ne put résister au tranchant du glaive ? et du soulier de la martyre sainte Épipode, qui guérit un gentilhomme de la fièvre ?

Et de saint Cassien, maître d’école, qui fut fessé par ses écoliers ? et de sainte Potamienne, qui, n’ayant pas voulu coucher avec le gouverneur d’Alexandrie, fut plongée trois heures entières dans la poix-résine bouillante, et en sortit avec la peau la plus blanche et la plus fine ?

Et de Pionius, qui resta sain et sauf au milieu des flammes, et qui en mourut je ne sais comment ?

Et du comédien Genest, qui devint chrétien en jouant une

  1. Voyez tome XIV, page 125.