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DE TERTULLIEN.


aut dejerare, etc. » Cette différence prouve évidemment que les philosophes n’étaient pas dangereux, et que les chrétiens l’étaient. Les philosophes se moquaient, avec tous les magistrats, des superstitions populaires ; mais ils ne faisaient pas un parti, une faction dans l’empire, et les chrétiens commençaient à composer une faction si dangereuse qu’à la fin elle contribua à la destruction de l’empire romain. On voit, par ce seul trait, qu’ils auraient été les plus cruels persécuteurs s’ils avaient été les maîtres : leur secte, insociable, intolérante, n’attendait que le moment d’être en pleine liberté pour ravir la liberté au reste du genre humain.

Déjà Rutilius, préfet de Rome[1], disait de cette faction demi-juive et demi-chrétienne :

Atque utinam nunquam Judœa subacta fuisset
    Pompeii bellis, imperioque Titi !
Latius excisæ pestis contagia serpunt ;
    Victoresque suos natio victa premit
[2].

Plût aux dieux que Titus, plût aux dieux que Pompée,
N’eussent jamais dompté cette infâme Judée !
Ses poisons parmi nous en sont plus répandus :
Les vainqueurs opprimés vont céder aux vaincus.

On voit par ces vers que les chrétiens osaient étaler le dogme affreux de l’intolérance : ils criaient partout qu’il fallait détruire l’ancienne religion de l’empire, et on entrevoyait qu’il n’y avait

  1. Milord Bolingbroke se trompe ici. Rutilius vivait plus d’un siècle après Justin ; mais cela même prouve combien tous les honnêtes Romains étaient indignés des progrès de la superstition. Elle fit des progrès prodigieux au IIIe siècle ; elle devint un État dans l’État, et ce fut une très-grande politique dans Constance Chlore et dans son fils de se mettre à la tête d’une faction devenue si riche et si puissante. Il n’en était pas de même du temps de Tertullien. Son Apologétique, faite par un homme si obscur, en Afrique, ne fut pas plus connue des empereurs que les fatras de nos presbytériens n’ont été connus de la reine Anne. Aucun Romain n’a parlé de ce Tertullien. Tout ce que les chrétiens d’aujourd’hui débitent avec tant de faste était alors très-ignoré. Cette faction a prévalu : à la bonne heure ; il faut bien qu’il y en ait une qui l’emporte sur les autres dans un pays. Mais que du moins elle ne soit point tyrannique ; ou, si elle veut toujours ravir nos biens et se baigner dans notre sang, qu’on mette un frein à son avarice et à sa cruauté. (Note de Voltaire, 1771.)
  2. Ces vers se trouvent dans le premier livre du poëme de Claudius Rutilius Numatianus, intitulé Itinerarium, ou De Reditu. L’auteur était Gaulois, et florissait au commencement du ve siècle. Il ne reste de son ouvrage que le premier livre et soixante-huit vers du second. J.-J. Lefranc de Pompignan l’a traduit en français. (B.)